dimanche 30 septembre 2007

Les chemins du plaisir 134

Le charme de la séduction ne laisse pas de détonner, au point qu'on s'étonne toujours du succès invétéré de jeux de séduction pourtant longuement éprouvés. Souvent on s'en gausse; parfois, on s'en indigne. Comment esprits crédules peuvent ne pas s'apercevoir que ces agapes reposent sur le paraître mensonger et le faux grossier? Evidemment, on invoquera que le désir n'est pas la raison ou que le coeur a ses raisons que la raison ignore. Sauf que la raison n'est jamais qu'une faculté d'analyse, non d'action. Si le désir obéissait à des règles incohérentes, voilà belle lurette que l'homme aurait disparu de la surface de son globe endolori. S'il est encore là, et bien là, c'est que sa boussole intérieure le meut vers des ordres plus consistants que les sables justement dénommés mouvants. Le sable mouvant correspond justement pour l'homme à cette incapacité de se reposer sur un quelconque principe tangible et certain. Rien n'est plus mouvant que le réel et, en même temps, l'homme a d'autant plus besoin de reprendre pied qu'il a l'impression que le sol se dérobe. La séduction joue le rôle du fondement introuvable dans ce dérobement permanent qu'est l'identité ontologique, l'identité de toute chose, en fait. C'est pourquoi je trouve que l'association de la séduction au mensonge et à l'apparence frelatée est hâtive. Car si le jeu de la séduction fonctionne depuis que les hommes sont les hommes, et que les vivants sont les vivants (je n'ose un tonitruant : depuis que les dinosaures existent), c'est que La Palisse n'est pas le seul homme à avoir éprouvé du vertige face au démon de la tautologie (formule, je le précise avec véhémence et solennité, que je viens de forger de toutes pièces et qui ne saurait tenir en rien de la pensée de Clément Rosset). Justement, le vertige nous signale que séduire, c'est apporter un fondement dans la relation inter-individuelle, un fondement en ce que l'équilibre, même précaire, préfigure au don de l'altérité en tant que générateur des formes indéfinies de la reproduction ontologique. La séduction indique que le fondement ne se situe pas dans la singularité, mais dans la transmission. La séduction - non le séducteur. Car ce dernier est plus au service de ses passions et chimères, qu'il croit servir au profit de son individualité, dans le moment où il s'en éloigne le plus. A son corps défendant. Telle pourrait être la devise éclairée d'un séducteur qui se leurre. De tout séducteur. Quant à la séduction, malgré les mensonges et souffrances qu'elle encourage pourtant, elle a le mérite insigne de témoigner que l'échange suppose certes une phase d'objectivation, mais que celle-ci n'est ni complète, ni définitive (postulat arbitraire et brutal de l'esthétique pornographique). Au contraire, l'ordonnation suppose un excès de réel qui n'est pas de l'ordre de l'être, mais qui appartient en propre à cette partie du réel qui justement explique que la tentation de la réification (comme processus ontologique d'ordre totalisant et totalitaire) repose sur une hypothèse de représentation fausse, outrée, partiale. Surreprésentée. Si la réification permet d'expliquer plus aisément le mystère de l'incarnation, sa singularité et sa différence perpétuelle et indéfinie, toute forme n'est jamais réductible à sa manifestation sensible, sans quoi le langage serait en mesure de produire une définition en soi des innombrables parties qui composent le réel (à défaut du réel lui-même). On n'en est pas là, et s'il est vrai que toute recherche métaphysique mène à l'Ordre métaphysique et/ou à l'objet hyperphysique, c'est que le supplément de réel n'est pas un supplément d'être. Néant, quand tu nous tiens, suivez mon regard... Je succombe, je rends les armes, bref : je suis séduit!

Les chemins du plaisir 133

Slogan de la pornographie : puisque nous n'avons pas trouvé de limites intangibles, nous ordonnons le règne du Chaos.

Les chemins du plaisir 132

Le mythe de la pornographie revient bien à instituer la perfection par une proclamation arbitraire d'intention puérile et destructrice. L'institution de la pornographie aboutit de façon remarquable à instituer le règne de la Perfection pour destituer le jeu classique de la séduction. Ne nous trompons pas sur l'étymologie de séduction et sur l'ouvrage superficiel livré par Baudrillard sur le sujet. "Attirer vers, attirer à soi, exercer une traction, soulever, amener en haut, séparer, retirer, soustraire, tenter, enlever à la dérobée", toutes ces traduction de subducere ne sauraient se limiter à la représentation de la séduction comme mensonge et art de la tromperie. Cet art n'est jamais que le dévoiement (et le jeu pervers) d'un art véritable qui consiste plutôt à jouer sur l'imperfection intangible du donné pour lui donner l'apparence de la perfection humaine. Avant de se faire passer pour ce qu'il n'est pas, le séducteur est celui qui se réclame de la possibilité d'améliorer ce qui est, je veux dire : d'aménager et d'agencer le réel aux normes de fonctionnement de l'homme. La séduction est ce long et subtil processus par lequel l'être humain affirme haut et fort la possibilité de sortir du déterminisme étriqué et simpliste, par la possibilité qui lui est offerte d'influencer le donné qui le concerne (directement et indirectement). Où l'on voit que cette condamnation du déterminisme simpliste ne restaure nullement le libre-arbitre pur et simple. Il se pourrait même que ce que nous appelons de notre point de vue liberté s'intègre à des mécanismes visant l'ensemble du réel et de ce fait échappant à notre entendement. La liberté serait-elle déterminisme mal compris? En tout cas, la séduction est un jeu d'une telle subtilité que son efficacité opératoire échappe heureusement aux analyses conscientes et préalables qui ont pu, ou pourraient, en être données. Par contre, ce n'est certainement pas un hasard si la séduction est aussi absente des débats pornographiques. Il est des absences criantes, tellement criantes qu'elles ont valeur d'aveux. Si la pornographie biffe ainsi d'un trait de caméra les méandres souvent incompréhensibles de la séduction, c'est qu'elle ne pressent que trop que son coup de force contre le réel, son coup d'état contre l'ordre véritable, revient à instaurer arbitrairement la Perfection mythifiée en lieu et place de la séduction. L'effort véritable, la complexité des sentiments et des comportements sont ainsi remplacés par le totalitarisme de l'Hyperréel, où la représentation permet d'instaurer le réel tel que l'homme le désire et tel que, précisément, il ne saurait être. La pornographie mérite d'être taxée d'esthétique du ressentiment en ce qu'elle révèle le principal grief que l'homme dans son inconséquence adresse au réel : d'avoir créé un monde imparfait par rapport à ses attentes. Ce en quoi on pourrait objecter que la séduction est la plus belle des réponses apportées à ce dépit largement exagéré. Ce en quoi, aussi, le mot de Héraclite mérite la place qui lui revient : "Il n'en vaudrait pas mieux pour les hommes qu'arrivât ce qu'ils souhaitent."

samedi 29 septembre 2007

Les chemins du plaisir 131

Curieux, ce constat implacable : le féminisme est l'enfant du christianisme, qui, comme ces enfants qui refusent leur héritage, prétendent répudier ce père encombrant et omnipotent. La laïcité aussi sombre dans le snobisme par excellence, qui consiste à camoufler ses origines véritables, souvent en prétendant s'en enorgueillir, ce qui rend le problème aussi cocasse qu'insoluble. Demandez à Marcel Proust. D'ici à ce que vous rencontriez le plus hypocondriaque des asthmatiques, permettez que nous rappelions une autre vérité fondamentale que le grand Marcel ne connaissait que trop, pour l'expérimenter à son corps défendant : que plus il y a de violence, moins il y a de liberté (de consentement pour parler comme les postmodernes). C'est au nom de cet adage que les féministes historiques et conséquents (je mets au masculin car je vois mal pourquoi un féministe conséquent serait automatiquement une femme) ont exigé la liberté pour les femmes. Qu'est-ce que la liberté pour ces militants? C'est rappeler que la différence féminine, qu'on essaie de nous gommer au prix d'une arnaque aussi grossière qu'ébaubie, est digne de respect et que la situation de faiblesse des femmes, notamment physique, mais également dans une certaine mesure psychologique, ne signifie pas leur infériorité en tant que personnes. Jamais une féministe conséquente n'a prétendu que les femmes couraient aussi vite que les hommes pour exiger la liberté des femmes. L'égalitarisme sexuel qu'on essaie de nous vendre ne remplacera pas la difficile réflexion sur la différence et sur les richesses qu'accompagne cette différence. Ce n'est pas parce que la femme est différente de l'homme qu'elle lui est inférieure, tant s'en faut, et ne pas reconnaître de richesse chez la femme au prétexte de sa différence sexuelle est une erreur qui nuit en premier lieu à l'homme aveuglé par son machisme ou sa misogynie. J'observerai en passant que cette richesse et cette différence ne signifient nullement que la femme soit un être étranger à l'homme, si bien que la pensée de la différence en matière de différence sexuelle doit éviter deux écueils essentialisants majeurs : créer une essence de la femme différente de l'essence de l'homme (première aberration); façonner au nom de l'identité profonde entre l'homme et la femme un refus de la différence sexuelle requalifié en égalitarisme et discours du Même. C'est dire que si l'homme n'est pas la femme (discours de l'Hyperréel), l'homme et la femme appartiennent cependant à la même race. Nous y sommes. Car le féminisme a tendance à se dévoyer dans la mesure où il essaie de sortir de cette aporie par l'énoncé de formes pures. Ainsi de l'islamisme énonçant le féminisme islamique comme séparation sexuelle au nom de la différence (la femme est douce; l'homme est courageux, par exemple - distinction essentialiste ridicule). Ainsi dans l'extrême inverse de ces discours actuels qui prétendent faire reposer la différence sexuelle sur une construction sociale. Que les brillantes théoriciennes de cette mode infra-métaphysique baissent leur culotte et elles vérifieront aisément en quoi on ne résout pas un problème ardu par la négation du problème ou des solutions simplistes. Ainsi agit le féminisme dévoyé et le dévoiement est à mon avis constitutif du féminisme en ce que ce dernier a tendance à céder à certains démons pour résoudre le problème de la différence sexuelle. Le principal travers dans lequel donnent ces (fausses) féministes, qui pour le coup sont presque toujours des femmes, consiste à prendre la place de ceux qu'elles critiquent d'autant plus qu'elles admirent la domination historique de l'homme (domination bien plus ambiguë qu'on le dit et assez similaire aux relations du maître et de l'esclave telles que Hegel les analyse). Dans ce cas, le féminisme n'est jamais que l'expression d'un machisme inversé et stérile. Outre ce mimétisme concurrentiel et destructeur (notamment : pour l'identité sexuelle), le grand danger est d'ordre ontologique : le féminisme dévoyé participe au monde de l'indistinction et de l'indifférenciation, résurgence de l'Hyperréel comme refus des différences - et de la différence. Il est parfaitement conséquent, quoique redoutablement pervers, que les réglementaristes du sexe (de la pornographie ou de la prostitution) cachent sous la légitimation de la cause féministe leur véritable moteur : l'intérêt mercantile. Il est parfaitement conséquent aussi (et toujours aussi pervers) qu'un mouvement de libération ait tendance à s'emmêler les pieds (ou les pinceaux) entre l'exigence (dans tous les sens du terme) de liberté véritable et les velléités aberrantes (prévisibles) de libération inconditionnelle, prétextes à tous les abus totalitaires.

Les chemins du plaisir 130

L'altérité comme lien entre singularités émane de la différence.

Les chemins du plaisir 129

La prise de pouvoir de la représentation n'a évincé le réel qu'au prix d'un jeu blanc ou d'une opération de magie blanche. Le coup est bien connu des prestidigitateurs à tendance charlatanesque : face à un problème, clamez que le problème a disparu pour laisser entendre à sa résolution. Or ce n'est pas parce qu'on avance que le problème du réel a été remplacé par la perfection de l'Hyperréel que l'on édicte la vérité. Tant s'en faut. Par contre, les problèmes ressurgissent avec usure dans la mesure où l'idéologie du Même claironne à leur résolution définitive.
1) Effectivement, dans la représentation pure, on peut annoncer avec des gloussements de satisfaction que la différence sexuelle résulte de la pure construction sociale. Dans le réel pourtant, la différence sexuelle n'est pas amovible. Le fondement social explique d'autant mieux les problèmes ontologiques qu'il les aggrave en prétendant les résoudre.
2) La substitution du réel par la représentation aboutit à la plus grande des violences, qui se manifeste par la négation pure et simple de la violence. Il suffit de mater un bon film de cul pour assister à la glorification de la violence au nom de son éradication et de sa domination.
3) Dans le réel, le vrai problème consiste à affronter la différence, non à y substituer arbitrairement la représentation. Le vrai problème demeure plus en jachère que jamais.

Les chemins du plaisir 128

Quelques remarques corolaires sur la pornographie :

1) Le mythe de la pornographie est d'instituer la perfection arbitraire et de remplacer la séduction au nom de la perfection hyperréelle.
2) La pornographie repose sur l'utopie et l'idéologie par excellence : instaurer le règne de la Perfection, étant entendu que le mensonge anthropomorphique est patent. C'est bien de perfection humaine qu'il s'agit, à ceci près que la perfection est présentée comme ontologique, universelle et divine.
3) Qui parle d'interdire la pornographie, à part quelques bouffons issus de l'autre moralisme, le classique? Il suffit d'en montrer l'éclairage véritable pour discréditer la démarche totalitaire menée au nom fallacieux de la liberté.
4) Contrairement à une idée reçue, la pornographie nuit plus à l'image des mâles que des femmes, du fait qu'elle remplace le réel par la représentation et qu'elle interdit ainsi la médiation du fantasme. D'ailleurs, si tel n'était pas le cas, on ne trouverait pas autant de féministes dans la cause de la pornographie, dans l'exacte mesure où ces féministes dévoyée trahissent le véritable mouvement féministe, comme elles trahissent le parti de la liberté au nom de la liberté. A ma connaissance, je ne sache pas que le parti pornographie ait accouché d'un mouvement masculiniste. C'est qu'il n'en a pas besoin, contrairement à son infiltration et sa déformation de la cause féministe.

Les chemins du plaisir 127

C'est bien connu, la pornographie se situe sur le même terrain que la morale. Avec une arnaque constante : laisser entendre que l'ennemi de la pornographie serait la morale (remarquez à quel point le terme acquiert une connotation vague, inquiétante et indéfinissable!). Oui, la pornographie est une caricature de la morale. Oui, la pornographie est une arnaque en ce qu'elle plagie outrageusement le moralisme essentialiste en prétendant l'éradiquer comme son ennemi intime. Que l'on juge du moralisme tel qu'il descend de Platon (le simple fait qu'il descend de Platon devrait inciter les stipendiaires hystériques du moralisme à plus de retenue face à la profondeur) :
- Bien=Etre=Ordre.
Et maintenant l'équivalence que l'on pourrait qualifier de sadienne et dont on notera l'incohérence logique et ontologique :
- Violence=Etre=Ordre=Bien
L'addition de la violence au triptyque original va de pair avec le jeu sur la limite. La violence prétend d'autant plus abolir la limite qu'elle fait de l'abolition de la limite la limite par excellence de l'ontologie sadienne. Le refus de la limite comme limitation incohérente explique assez l'incohérence actuelle de l'organisation humaine. Quant à l'apologie de la destruction pornographique, elle signale à quel point cette incohérence va de pair avec l'éviction de la limitation intériorité/extériorité au profit de l'uniformité et de l'homogénéité prétendues. L'intériorité édictée comme totalité n'est jamais que l'expression de l'infériorité.

Les chemins du plaisir 126

La pornographie suscite l'intérêt dans la mesure où elle témoigne d'une part essentielle du réel. Les réglementaristes ont beau jeu d'expliquer pompeusement que l'interdire reviendrait à nier une part du réel. Comme si le donné était intangible! Ce qu'exprime la pornographie n'est jamais que le symptôme de l'agencement contemporain de la modernité. La pornographie pose le problème des rapports entre violence, agencement de la violence, énergie et position face au Même. Si la violence est donnée ontologique et intangible, tout dépend de ce que l'homme fait de la violence. Agencer la violence est la mission par essence de la culture. La pornographie exprime l'agencement nihiliste dans la sexualité. La sexualité est le domaine de prédilection de l'agencement de la violence. Ce qui est dangereux pour l'homme, c'est de séparer la violence au nom de l'agencement même, comme si la mission de l'agencement tenait à la séparation de la violence, et non à son aménagement. La distinction de la violence comme séparation est bien une délimitation, mais une délimitation au sens où la limite signifie a séparation radicale et irrévocable. La violence est élue comme destruction pure dans la mesure où son agencement est réputé fatum irréfragable et indépassable. La partie devient le tout en ce que la réduction ontologique réduit pour mieux universaliser, étendre de manière totale et totalitaire. La limite comme séparation révèle que l'arbitraire de la réduction est cohérent avec son extension abusive et que la limite est niée dans la mesure où elle est contradictoire avec l'homogénéisation induite par le Même. La séparation de la violence, son érection pornographique en destruction pure suppose la distinction paroxystique de la distinction présentée comme refus de la distinction, de la limitation poussée dans ses retranchements d'uniformisation totalitaire; Plus la violence morcèle, plus elle prétend à l'uniformité; plus la violence morcèle, plus elle réfute la différence au nom de la répétition; plus la violence morcèle et plus le morcèlement éructe pour exprimer l'absolutisme du Même. Au final, le statut de la violence passe d'un possible et nécessaire aménagement dans le donné à un morcèlement présenté comme constitutif et inévitable. L'adhésion de l'époque à la pornographie consiste à valider cet inévitable au nom du Même et du refus du morcèlement, dans le moment où cet acte revient à valider et aggraver le morcèlement

Les chemins du plaisir 125

La pornographie suscite autant d'intérêt parce qu'elle exprime la sexualité morcelée, le réel morcelé. Si le lien était opéré entre les morcèlements, la pornographie ne serait qu'une excroissance marginale de la perversion, soit une manière de rendre positive la violence en tant que destruction - une aberration aussi étonnante que détonante.

Les chemins du plaisir 124

Pourquoi le réglementarisme du dopage ne peut être affirmé explicitement et sincèrement que dans le scandale et l'inacceptable alors que le réglementarisme sexuel subit de telles ambigüités? Le dopage aux USA, soit en terre d'élection de l'ultralibéralisme, prospère sur le non-dit ou le mensonge. Et pour cause : la revendication de la vie comme affirmation exacerbée et outrée (outrancière) du Surhomme, de l'idéologie du Surhomme et de son utopie, implique que le désir mortifère ne soit pas exacerbé. Le modèle du sportif dopé est trop mortifère quand on connaît le destin d'un footballeur américain pour qu'il puisse durablement aboutir à son apologie. Prostitution et pornographie sont ambigus car le sexe oscille entre la vie et la mort. L'ambiguïté tient à l'énigme de la reproduction, qui oscille entre répétition et différence. Donner la vie, c'est donner la mort. Cette ambiguïté, il faut l'accepter, entériner le paradoxe selon lequel la vie est plus forte que la mort, contre l'évidence rationnelle bornée et aveugle. La destruction est admissible en matière sexuelle parce que al destruction y côtoie la création et l'inacceptable, la création comme le scandale absolu, la différence comme acceptation insoutenable de la disparition, et pas de n'importe quelle disparition, de la disparition familière, singulière, de sa propre disparition. Le sexe, pour valoriser la vie, a besoin de valoriser la mort, quand le sport peut se contenter de valoriser la vie outrée et pure. Pour valoriser le sexe, on a vite fait de valoriser la mort pure et formalisée, bien entendu au nom de la vie et au nom de cette proximité exacerbée et inacceptable.

Les chemins du plaisir 123

L'engouement pour la pornographie n'est de finalité mercantile que si on s'avise que c'est la société de la réduction ontologique, la promotion culturelle de la réduction, qui favorise l'essor de la pornographie. Le débat entre réglementarisme et prohibitionnisme, les deux extrêmes, n'est envisageable que dans la perspective mercantile de la réduction. Dans une société où la réduction serait une aberration, la pornographie serait sans intérêt notable.

Les chemins du plaisir 122

Le problème de la modernité passe par sa gestion du postkantisme, de l'héritage kantien travesti en nietzschéisme triomphant, d'autant plus triomphant qu'il exprime le désespoir de l'impasse et de l'abîme. Au bord du gouffre, le nihiliste vacille parce qu'il confond fantasme et réel. C'est un héritage paradoxal et ironique que la révolution kantienne soit certainement à l'origine de la légitimation de l'Hyperréel.

Les chemins du plaisir 121

La sexualité de la liberté absolue est le fantasme totalitaire qui ne fonctionne pas dans les autres domaines de la vie, et qui fonctionne dans le sexe parce qu'il est le déploiement évident du fantasme (et de la négation du fantasme).

vendredi 28 septembre 2007

Les chemins du plaisir 120

La surenchère pornographique, unanimement reconnue, y compris parmi les partisans initiaux et libertaires de la pornographie, qui aujourd'hui s'effarouchent des gonzos, les idéologues de la libération monstrueuse, est tout à fait prévisible dans l'esprit du Même. Elle n'est qu'un symptôme du Même, soit de l'esprit qui refuse la différence au nom de l'uniformisation. Pour le Même, la différence est perçue comme l'ennemi qui rend paradoxal le réel et empêche de penser l'infini comme éternité uniforme. L'uniforme est le difforme. Qu'est-ce que le monstrueux? Le refus de la différence pousse à la réfutation de la créativité pour faire en sorte que la présence ne sombre pas dans la dépréciation qualitative. L'uniformisation suppose la dépréciation négative, comme la négation de l'énigme de la création, et qui veut que le donné contienne un donné dont al surabondance excède déjà les forces en présence. L'explication au devenir, c'est que le présent contient la surabondance qui permet à la présence de poursuivre. C'est le mystère de la différence que de concevoir le devenir comme la surabondance présente. Cette négation de la surabondance qualitative aboutit à la pure répétition, comme expression négative du refus de la surabondance et l'uniformisation comme dépréciation qualitative du donné. Dans la différence comme enrichissement qualitatif constant, la qualitatif suppose que le présent contienne la surabondance qui permette d'aboutir à la succession de la répétition. La répétition comme enchaînement de pur mimétisme engendre logiquement le passage du qualitatif au quantitatif. Ce quantitatif explique que le donné contient moins que la succession qui va lui succéder, alors que le qualitatif contient un surplus qui ne réside pas dans l'ordre. Le qualitatif, c'est l'affirmation que le donné ne se limite pas, dans tous les sens du terme, à de l'ordre. La considération d'une omnipotence de l'ordre comme projection du sensible aboutit à la dépréciation quantitative. L'imitation déprécié constamment le donné. La surenchère quantitative est la réponse désespérée à ce besoin de compenser la négation de la différence par l'affirmation de la violence. L'affirmation de la violence est la conséquence nécessaire de la dépréciation quantitative. Inutile d'ajouter que la surenchère quantitative manque son but de façon prévisible et que la surenchère conduit à toujours plus de destruction et à l'accélération de la destruction au nom de la perfection et de l'uniformisation.

Les chemins du plaisir 119

Fascination pour la violence : les apologies de la violence au nom du fait que la violence n'est pas si grave, qu'on s'en remet toujours, indique la contiguïté violence/création. Mais la destruction exclut la création, quand la création inclut la destruction. Même paradoxe pour différence et répétition?

Les chemins du plaisir 118

L'explication à la fascination envers la violence tient au rôle de la violence dans le processus d'ordonnation. La violence participe au processus de délimitation, de singularisation, de formalisation du réel en tant que finitude. Raison de la confusion entre la violence et la création. La fascination active ou passive envers la violence s'explique massivement par sa contiguïté avec le processus de création à l'oeuvre à chaque instant dans le réel. Advenir, certes, c'est en passer par la violence; en tant que la violence, c'est in fine la différence et l'énergie. Je crois que le meilleur moyen de démystifier la violence, en tant que préjugé engendrant autant l'admiration que la fascination apeurée, c'est de comprendre que la violence n'est jamais que l'énergie négative - pour l'homme. La différence entre la violence intégrée au réel et la violence pure, utopie fantasmatique et formelle, c'est que la violence intégrée ressortit de la différence réelle; tandis que la violence pure, qui n'existe pas positivement, renvoie en fait au processus de réification qui ne dit pas son nom, à la destruction absolue en tant que répétition privée de la différence; la réduction ontologique à l'immédiateté première.

Les chemins du plaisir 117

Les apôtres de l'Hyperréel ne cesse de railler l'absence de normes pour en conclure à l'inexistence de la norme en tant que telle et appeler à la libération absolue. Ce faisant, ils ne se rendent pas compte qu'ils établissent la forme pure du moralisme, qui tient à la limite pure en tant qu'absence pure de limites. Dans le même registre de paradoxes susceptibles d'éclairer sur la duperie constitutive de l'Hyperréel : tandis que l'impossibilité d'établir la norme est le propre du réel, le propre de l'Hyperréel est de normer. Raison pour laquelle l'Hyperréel adresse le reproche justifié au réel de se trouver dans l'incapacité d'édicter le moindre principe de limitation. Et pour cause : le seul principe à la limitation, seul l'Hyperréel peut le produire. Résumons l'argumentation tortueuse de l'Hyperréel : il condamne l'absence de normativité dans la mesure où :
1) il est le seul à en disposer;
2) l'absence de normativité est la normativité par excellence, la forme parfaite et pure de normativité...
Si l'absence de normativité, la libération absolue, sont la seule forme envisageable de normativité, il s'en suit que la seule norme qui puisse tenir le critère de la perfection ontologique est la destruction pure. La seule normativité conséquente passe par la violence. Pour que la perfection advienne, rien de telle que la destruction. Dans le rien, la limite la plus sûre. Il reste à préciser que ce type de destruction, si elle évoque la violence présente au coeur de l'ordonnation, en diffère notablement en ce qu'elle est forme pure de violence, et non violence comme énergie créatrice perçue par l'homme dans un reflet anthropomorphique. La vraie violence ressortit en fait de l'énergie. La violence pure n'est norme intangible que dans la mesure où elle émane de l'utopie et de l'Hyperréel...

Les chemins du plaisir 116

La prédominance de l'image d'Épinal cinématographique provient du stéréotype du Surhomme tel que l'Hyperréel de Hollywood le façonne jusqu'au fascinant. Qui ne se rend pas compte de l'adéquation Hyperréel/Même/ultralibéralisme? Derrière cette sainte trilogie, qui précipiterait l'homme vers sa perte si l'homme ne possédait tant de ressources, il serait temps de considérer que les attaques sempiternelles et désormais stéréotypées contre le moralisme et la morale proviennent justement de leurs causes les plus inattendues. La lutte contre la morale telle qu'elle est professée n'est le refus de la limite qu'en tant qu'elle est la logique conséquence du postkantisme. Eh oui, celui que les nietzschéens considèrent non sans raison comme un indécrottable maître de morale a initié aussi l'argument métaphysique ou ontologique qui sert de référence aux actuels thuriféraires de la morale en tant que jeu sur la limite. La pseudo révolution copernicienne consiste bien à entériner une velléité humaine, qui consiste, pour contrer l'incertitude ontologique qui mine tout rapport de réel, de conférer à la représentation (comme faculté humaine coupée et indépendante du réel) supériorité et lettres de noblesse sur le réel. Au final, ce n'est pas seulement que le réel se retrouve bizarrement assujetti à la faculté de représentation humaine (le terme désignant le tout assujetti à l'une de ses parties infimes, quelle cohérence!). Il arrive même que le réel se trouve nié, soit au nom de son étroite dépendance de la représentation, dans un effet de renversement des plus bizarres (le tout devient la partie, la partie le tout); soit au nom du relativisme le plus ahurissant. Argument principal du relativisme : l'objectivité n'existe pas, tout se vaut, ce qui revient exactement à rétablir l'objectivation par défaut, l'absence de valeurs ne s'obtenant jamais que par la réduction ontologique. Le moins des paradoxes dans cet héritage kantien des plus frankensteiniens n'est certainement pas que ceux qui en descendent le plus certainement sont les postmodernes, en tant que postkantiens n'ayant eu de cesse de se réclamer de Nietzsche et de son héritage pour perpétrer leur attentat blasphématoire contre la pensée. Que Kant ait fait un enfant dégénéré et monstrueux avec Nietzsche constitue le genre de scoop qui pourrait intéresser Deleuze (accessoirement aussi, expliquer la folie de Nieztsche quand il réalisa quelle serait sa postérité véritable, une fois l'écume de l'enthousiasme passée).

jeudi 27 septembre 2007

Les chemins du plaisir 115

La limite est omniprésente en pornographie en ce que la pornographie interroge la limite. Le combat que s'arroge la pornographie contre la morale, alors qu'elle est l'expression du moralisme le plus dévoyé, renvoie à l'impossibilité d'édicter un principe de limitation et à la tentative, intéressée, d'arguer de l'impossibilité pour établir la limite de la violence. Pourtant, cette limite est la moins pérenne. Le principe de la limite revient surtout et déjà à poser la limite. Le principe de limitation consiste à incarner la différence, en instaurant l'extériorité comme ce qui ne relève pas du domaine de l'homme. Autant le dire de suite, le débat portant sur la bonne limite qu'entretient la pornographie pour nier la limitation autre que la sienne est vain. Il n'y a pas d'autre limite qu'empirique. Autrement dit : il n'est de principe que dans la mesure où le principe instaure la limitation. Quant aux cordonnées de cette entreprise, elles varient en fonction des agencements et des tâtonnements. Montaigne te Pascal ne savaient que trop ce fait, que l'ordre s'établit sans se réclamer d'un principe, puisque le principe n'est autre que le néant. Le pornographe doit être certainement borné pour ne pas se rendre compte que si le principe n'a toujours pas été découvert par Platon (découverte qui aurait été bien tardive), c'est qu'il n'existe pas littéralement, à l'instar du diable. Son existence symbolique lui confère cependant plus de force. Plus on cherche le principe, moins on cherche la délimitation pérenne. Le propre de la limite, c'est d'être pertinente dans la mesure où elle respecte le changement. La limite qui ordonne et accepte son évolution est une limite qui prospère sans se soucier de ses contours. Quand la limite commence à s'essouffler, elle se retourne, elle se pose, elle plastronne sur soi-même, bref, elle réclame d'autant plus le principe du principe qu'elle ne sent que trop sa fin prochaine. Quand la limite revendique le principe de son principe, c'est qu'elle réfute la vie et le changement. Elle s'atrophie, elle se chagrine de sa peau flasque et fade, elle sait qu'elle est de l'ordre le plus fragile, de l'ordre inférieur, l'ordre le plus près de l'anéantissement, au ras des pâquerettes. L'ordre qui refuse sa destruction et son évolution est d'une limite bien ténue, peu forte. Comme dans le nationalisme en politique, qui signale surtout la pauvreté de l'identité nationale revendiquée, l'exacerbation de la question de la limite prouve l'identité frelatée de l'ordre ainsi défendu à corps et à cris.

Destruction time

Entendu à la télévision : "Bush achève son mandat." Effectivement!

Les chemins du plaisir 114

Veut-on un indice irréfutable de l'esprit de mort qui anime la pornographie? Il suffit d'interroger la représentation de la vie dans la pornographie. Peindre la prostituée constitue tout un programme. Car s'il est bien un sujet qui entre en rapport fort avec la vie, c'est bien le sexe. Je rappelle aux oreilles des distraits que la fonction première de la sexualité chez le vivant est de procréer et que c'est snobisme que de penser extirper l'homme de son appartenance biologique (bien entendu, il ne s'agit pas de prétendre que la sexualité se résume à la procréation, mais c'est un autre sujet). Il est extraordinaire, remarquable et parfaitement conséquent que la procréation soit absente des débats pornographiques (également prostitutionnels). La fin la plus évidente de la sexualité est occultée de la représentation pornographique en ce qu'elle introduit le changement, la différence comme les antithèses à l'Hyperréel. La réalité de la sexualité s'oppose à la représentation de la sexualité comme reconstruction du réel en fonction du fantasme du Même. Dans le X, tout est anonyme - d'où le sobriquet. Le X évite la singularité afin de mieux promouvoir l'uniformité. L'esprit de mort de la pornographie : le titre sonne bien, mais il serait plus juste encore si l'on y ajoutait : l'esprit de perfection. Là se tapit le mensonge, là se tapit la laideur, là se tapit la violence pure. Car la vie se nourrit de la violence, quand la pornographie s'arrête à son seuil difforme.

Les chemins du plaisir 113

"Produisez une limite ou nous réclamons la libération, l'absence de limites et d'interdits!". Tel est le cri du coeur qui jaillit des entrailles d'un pornographe. Pas seulement. C'est la trouvaille du nihilisme que de prendre acte de l'incapacité de fonder un quelconque principe viable pour exiger son abrogation définitive. Les pornographes ne savent que trop l'absence de principes qui légitimerait la délimitation et ils profitent de cette fragilité pour en déduire son caractère illusoire. "Si la limite ne repose sur aucun principe, c'est qu'elle est arbitraire!" Pourtant, nos maîtres-libérateurs, qui éructent plus qu'ils ne chantent, sont les premiers à rétablir la limite qu'ils prétendent supprimer, parce qu'ils ne savent que trop que la limite est nécessaire à l'action et au désir humains. Ordonner, c'est limiter. Comment se mouvoir dans le fini sans limites? Je me demande si l'exigence d'abrogation des limites ne repose pas en définitive sur le fantasme d'une alchimie néo-mystique qui permettrait d'atteindre à l'infini par l'illimitation. Un peu comme le mystique se rapproche de Dieu par le jeûne et le dénuement, le pornographe se libérerait des entraves du fini pour atteindre les rivages enivrants de l'infini. Après tout, le langage de Bentley approche de la mystique à tendance gnostique, à ceci près que notre sainte en puissance se réclame des dérives sectaires de la pornographie. Le charlatanisme pornographique consiste précisément à laisser entendre que l'illimitation aboutit à l'infini. Autrement dit : la destruction du fini débouche sur l'accession à l'infini. Qu'est-ce qu'un anus, sinon l'une des portes d'entrée et de sortie du corps perçu comme forme singulière et limitée? Se faire défoncer le cul, pour reprendre une expression particulièrement vulgaire (et violente), quoique réaliste, correspond point par point à cet idéal de délimitation et de définitudisation. Bentley cherche d'autant plus sa limite qu'elle est en quête de délimitation. Le titre de sa confession annonce d'ailleurs la couleur. La reddition, qu'est-ce d'autre que se rendre devant la seule limite qu'on reconnaît tout de même quand on professe de réfuter toutes les limites? Bentley se couche devant la sodomie comme acte de destruction qui la structure, de violence qui la limite. Ce n'est ni chercher le scandale, ni excuser le viol que d'affirmer que le violeur en violant pose sa limite. Quant au fond de l'affaire, il est d'importance : le mensonge et la mauvaise foi de la pornographie en particulier, du nihilisme en général consistent à prétendre que la définitudisation permet d'accéder à l'absolu (qu'il soit orgasmique ou cosmique). En réalité, le processus est un acte de supercherie lamentable en ce que le propre de l'absolu est de s'incarner dans le fini, dans quelque ordre que ce soit. Hors de l'ordre, point de salut! La pornographie obéit à l'ordre de la violence pure, qui, aussi près de l'anéantissement soit-il, n'en demeure pas moins un ordre (à court terme). Autrement dit : la leçon à l'impéritie de la pornographie, c'est que l'on ne sort d'un ordre que pour passer à un autre. Pour le meilleur et pour le pire, on ne sort pas de l'ordre.

Les chemins du plaisir 112

La pornographie est une opération d'ordre alchimique si le plomb et l'or désignent deux réalités chimiques et métaphoriques antagonistes. Si le plomb est l'inverse de l'or, alors l'antienne pornographique consiste à adhérer à la mentalité alchimique. Du mal, je créerai le bien, du néant, le réel. Malheureusement, la réalité pornographique est une impasse proche de l'aberration alchimiste. De la même manière qu'aucun expérimentateur n'est parvenu à extraire de l'or du plomb, aucun pornographe ne réussira, bien que d'aucuns s'y soient essayés à maintes reprises, à sortir de l'art et de la vie d'une esthétique qui mérite son appellation funeste s'il est vrai que l'occurrence de la mort renvoie bien plutôt à l'anéantissement.

mercredi 26 septembre 2007

Les chemins du plaisir 111

A y réfléchir, puisque cette parole me revient, lorsqu'Ovidie rapproche, dans la quête pornographique, l'intensité du combat, elle explique grosso modo que la création s'obtient par la destruction, soit que la différence s'obtient par la répétition. Autrement dit : la stérilité permet d'accoucher de l'enfantement. La pornographie est bien la création de l'art en ce qu'elle prétend changer le réel pour le faire correspondre au Même. La vieille rengaine se veut d'autant plus antimorale qu'elle repose sur un postulat moral aberrant : le mal n'est pas mal car du mal s'obtient le bien. En termes ontologiques : l'absence est bien la présence. L'aveuglement d'Ovidie vient de cette attente porche de l'alchimie désespérée : faire quelque chose, dans tous les sens du terme, en pariant que le néant accouche du réel. Confronté à cette gageure impossible, le projet pornographique se trouve contraint in fine, pour différer son échec, de surenchérir dans le néant pour donner l'illusion du réel. En langage de l'ordre : recourir à toujours plus de destruction pour établir la création, dans un geste de défi impossible, qui aboutit à aggraver la catastrophe à chaque fois qu'on prétend la différer.

Les chemins du plaisir 110

Je me souviens sur un plateau de télévision, où les invités étaient en majorité des zélotes de la cause pornographique, que le post-soixante-huitard Frédéric Joignot lança, au nom de la libération sexuelle et pornographique, l'anathème d'un bon père de famille contre les gonzos qui inondent le marché de l'Internet à l'heure actuelle. Que libération et pornographie puissent être aux antipodes de conciliants oxymores n'est pas encore entré dans les mentalités. La vraie libération sexuelle attendra qu'on accepte d'envisager la violence qui réside dans le sexe comme l'un des rares bastions que la démocratie ne dispute pas au totalitarisme. Et pour cause : la démocratie, qui fuit plus qu'elle n'affronte pas le problème ontologique de la violence, a intérêt à encourager cet échappatoire à court terme. A long terme, c'est de ce nid de Gorgones que le totalitarisme à tendance libératrice verra le jour... Mais ceci est une autre affaire. Joignot est un journaliste-philosophe. Redoutable espèce, en ce que l'événementiel est intégré au niveau de la métaphysique de la représentation et que l'exercice philosophique consiste à penser le sens à partir de l'événement. Un journaliste-philosophe est un penseur dont le fondement tient à l'almanach événementiel. Il est tout à fait logique que cet apôtre de la surface repue, de l'apparence immédiate et de la réduction ontologique (réduction démentielle de l'événementiel), trouve son comptant (et s'en contente) dans la pornographie. Outre qu'être pour la pornographie vous fait passer dans certains milieux branchés pour un homme de gauche, qui, s'il a le portefeuille à droite, serra sa bite du bon côté, celui de la libération et des bons sentiments (traduction des bons sentiments chez le post-soixante-huitard : l'absence de sentiments), la pornographie épouse intimement, si je puis dire, ou libre-échangistement, les contours de la métaphysique et de la morale de l'événementiel. Or, donc, en effet, notre Joignot de la Couronne X s'insurgea en moraliste effarouché, d'autant plus effarouché et moraliste qu'il pourfendait le moralisme depuis une heure (et une vie), du fait que le gonzo avait dépassé les bornes. Autrement dit : un pornophile (comme il existe des nécrophiles?), qui avait milité toute sa vie pour se libérer des carcans, prenait conscience (la paternité aidant?) édictait des limites avec la vigueur outrée du moraliste stipendié. Le plus patenté des pornophiles est le plus grand des moralistes en ce que lui-même apporte sa limite. Plus la violence est forte, plus la limite est stricte. Le pornographe conséquent est le plus grand des moralistes. Le principe de limitation comporte la trace de la violence. Ordonner, c'est (aussi) violenter. Joignot en apportait la preuve irréfutable. Le plus grand partisan de la pornographie ne faisait jamais que déplacer la limite, en plaidant comme de juste que c'est la liberté qu'il accroît dans le processus de libération, alors que c'est la limite de la violence qui est interrogée et que la libération exprime la libération de la violence. Poser le problème de la limite revient à mal poser le problème : comme le principe formel et théorique de la limite est introuvable, puisque la forme est le principe et que le principe en tant qu'invariant consiste à varier, c'est que la question de la limite n'a de sens, de valeur et de fondement que si elle est adossée à la question de la violence. Au fond, la liberté se pose comme sculpture de la violence, soit comme éducation à la culture. Le problème de la limite qu'interroge Joignot et qu'il rétablit par un "ça suffit" aussi savoureux que tonitruant ne sert pas à grand chose s'il revient à justifier le moralisme tant moqué. Par contre, ce geste donne à penser s'il permet de déplacer les coordonnées du problème et de s'aviser que le critère de départage réside dans la pérennité de la culture, dans la pérennité de la société humaine. La mode de la pornographie ravit peut-être les partisans de la libération démagogique façon pseudo 68; elle est contraire à la pérennité de l'homme, de sa sexualité et de son rang dans le réel.

Les chemins du plaisir 109

L'importance de la pornographie dans les démocraties actuelles mérite certainement l'analyse, à condition que la violence qu'elle charrie ne soit pas occultée. L'argument des réglementaristes consiste à exercer un profit sur le dos de la violence, en estimant au mieux que la violence peut être dominée par l'homme - au pis, que la destruction n'est pas une si mauvaise chose qu'elle n'y paraît, en tout cas qu'on s'en fout. Quoi que prétendent les esprits de mauvaise foi qui ont intérêt à ce que la violence soit déniée, cette dernière n'est certainement pas un résidu dans l'agencement du monde. Lorsque l'on nie le refoulé, la négation profite au refoulé pour orchestrer son retour en force. C'est exactement ce qui se passe dans le domaine de la pornographie. Plus une époque perd ses repères et manque de valeur, plus sa tentation consiste à retourner vers le sexe pur et à l'interroger pour chercher du sens. Le sexe est sans doute le lieu privilégié de la création et c'est pourquoi, quand le sens ne comprend plus le réel, quand la différence devient un gros mot devant lequel on éloigne les enfants, des fois qu'ils attrapent le mal du pays, la tentation consiste à réduire le sens, la création et la différence à la destruction pure. L'ordre le plus satisfaisant, le plus simpliste aussi, est celui qui se situe le plus près de l'abîme. L'importance de la pornographie ne tient pas à sa qualité esthétique (elle est nulle!), mais au rapport primordial que le sens entretient avec le sexe. Autrement dit, le baromètre de la pornographie indique que quand la pornographie est à la mode, cet effet ne signifie nullement que la sexualité se libère et que le moralisme fanatique régresse; tout au contraire, que les fondements du sens tanguent dangereusement et que le sens n'est plus en mesure de produire du sens à partir du sexe. La régression du sens vers le sexe, sa réduction affligeante au nihilisme et aux valeurs de l'anéantissement suggèrent que le sexe n'est nullement la fin ou l'esprit qu'exprime la pornographie. C'est la crise du sens qui instaure le flux pornographique, et il suffira que le sens prospère de nouveau pour que le reflux pornographique s'opère de nouveau. Sans doute existe-t-il un moralisme étriqué qui professe l'interdit comme attitude face au monde; mais la vraie critique de la pornographie ne procède nullement du refus du réel ou du sexe. Il consiste à rappeler que la violence n'est jamais que l'émanation de la création ou de la différence et que la violence pure, celle qui s'approche du néant, ne prospère qu'à l'ombre de l'absence de sens. C'est dire à quel point la violence n'est pas une fatalité pour l'homme. Dans le cas de la pornographie, elle est une fatalité dans la mesure où l'on accepte le déferlement de la violence brute et qu'on fait mine d'affronter le problème en prétendant que l'on domine d'autant plus la violence qu'on la laisse s'exacerber. Dans le cas de l'art et de la culture, la violence se sculpte, s'éduque, se transforme au point qu'on lui confère des allures humaines et qu'elle recouvre, tel le vilain canard de la fable, ses allures créatrices et solaires. La violence n'est pas une fatalité, à condition que l'homme dispose de fondements assez puissants pour en édifier les minarets chatoyants et les dômes rutilants. C'est quand l'architecture retrouvera son faste que la pornographie perdra comme par enchantement son prestige. Plus personne n'en vantera les mérites pour se donner des airs intéressants et les quelques détraqués (attendrissants) qui s'y risqueront se verront tancer au nom du bon sens. Un jour, proche, le pornographe sera considéré comme l'obscurantiste qui affirme que la Terre est plate. Dire que c'est en terre démocratique que la pornographie a prospéré!

Les chemins du plaisir 108

Enthoven : - Est-ce que la pornographie n'est pas, comment dire, la façon qu'on aurait de faire avaler la pilule, si j'ose dire, serait de le sauver par l'esthétique, par l'art?
Ogien : - Mais pourquoi faudrait-il le sauver? Qu'est-ce que ça a de tellement immoral? C'est, c'est... La question n'est pas tellement qu'on apprécie les oeuvres de Picasso, mais pourquoi on est tellement révolté par celles qui ont moins de qualités artistiques, c'est d'ailleurs...
Enthoven : - C'est d'ailleurs l'objet de votre livre, Ruwen Ogien, et on sent que ça vous révolte!"


1) La question contient un amalgame typiquement nihiliste : si le divorce entre la pornographie et la morale, même la meilleure, semble consommé, il serait temps d'expliquer que ce divorce l'est a fortiori avec l'art. L'esthétique pornographique mérite d'être appelée anti-artistique dans la mesure où elle procède d'une réduction du réel, du sens vers le sexe comme objet, quand l'art approfondit (l'évidence, notamment).
2) La question du salut entraîne l'ire d'Ogien, qui manque tellement d'arguments qu'il en perd ses mots et se réfugie dans des maux plus grands encore. Après la légitimation de la violence au nom de la lutte contre le moralisme, la colère! Pourtant, notre analyste en chef de la pornographie en tient une couche avec la morale. On ignore ce que la morale lui a fait, mais il tient à son propos un discours à peu près aussi nuancé que le Hamas sur les Israéliens ou Houellebecq sur les musulmans (qui ne sont pas tous arabes, tant s'en faut). Il va falloir expliquer à Ogien :
a) que révolte n'est pas le terme exact pour qualifier les critiques cohérentes qui s'inquiètent de la mode pornographique et de son infiltration dans les valeurs de la représentation de masse.
b) que lorsqu'on parle d'art, il serait quand même bon de posséder quelque bonne foi, je n'ose dire quelque objectivité. Parce que "moins de qualités artistiques" pour qualifier l'esthétique pornographique, c'est se moquer du monde. La pornographie ne possède aucune qualité artistique. Aucune!
Si révolte il doit y avoir, ce n'est donc pas d'un point de vue moral qu'elle doit survenir, mais d'un point de vue esthétique. Soit dit en passant, cette révolte mérite de se résumer à un bon fou rire, tant le spectacle d'un film X ressortit du comique et de la caricature (puis de l'ennui stéréotypé). Quant à la détestation morale que nourrit et entretient Ogien, je la comprends moins comme une critique de la morale de l'autre siècle, tendance lutte contre l'Infâme, que comme l'opposition frontale à la morale en tant que délimitation et pouvoir de limitation. La vindicte d'Ogien s'explique moins par son indignation devant certains abus que par la résistance que présente la morale conséquente. Le propre de la morale revient en effet à s'opposer à la stratégie d'infiltration (d'entrisme, diraient les trotskystes) dont Ogien est l'analyste-représentant distingué (bien que sa diction ne soit pas distincte). La morale-limitation est le rempart contre les revendications de libération totalitaire, qui claironnent haut et fort qu'on fait ce qu'on veut tant qu'on ne nuit pas à autrui pour mieux instiller, derrière la façade cohérente de cette définition négative, la réduction du réel à l'objet morcelé.
Le Comte est fait comme un maroilles fermier aux fines herbes et c'est pourquoi nous mettrons un terme à nos commentaires sur son intervention remarquable de nihilisme destructeur et moraliste...

mardi 25 septembre 2007

Les chemins du plaisir 107

Ogien : - Je ne crois pas qu'un film soft, vu de loin, éclairé à la David Hamilton, est plus moral qu'un film de John B. Root."

Ogien, par pitié, à défaut d'être éclairé par les néons de Hamilton, daigne illuminer ma lanterne blafarde! Qu'entends-du par - moral? Si c'est la caricature archétypale que tu charries depuis le début de l'émission, cette différence ne dispense aucun intérêt pour l'auditeur qui cherche à comprendre ton propos. Si tu cherches une limite, le moins qu'on puisse avancer, c'est que tu n'en proposes guère... Es-tu venu pour claironner ton combat contre la morale d'arrière-garde? Toi le preux penseur de l'avant-garde dûment répertorié par toutes les éditions érotiques, adoubé de la pointe de son stylo par Ovidie en personne, descendue des marches briquées de son temple solaire? A quand l'éloge vibrant de Bentley, la poétesse que le monde entier attend désespérément depuis Sapho? La consécration pornographique? Ogien, pourquoi ne tournes-tu pas de porno si le style te convient si bien? Bon, un peu de sérieux. Pourquoi toujours feindre (le terme est sans doute malheureux au pays de la pornographie, soit de l'orgasme fantasmé) d'entonner le refrain-repoussoir de la morale, l'antienne trop connue et désormais usée jusqu'à la ligne? Serait-ce qu'il faille éloigner le vrai problème, celui de la limite? Cherches-tu, à l'instar de tant d'autres, à ne pas proposer de limites pour suggérer que la libération unanime et absolue s'impose? Pourquoi énonces-tu qu'il n'y a pas de différence entre un film érotique et un porno de ce bon vieux John B. Racine de X² (au cul)? Le caractère explicite des scènes suffirait amplement à établir une distinction technique et esthétique. Ce ne serait pas la seule. J'insiste bien sur un point : l'art consiste à approfondir la vision du réel, soit à partir du sexe pour édifier le sens; quand la pornographie va à l'encontre de l'art en opérant une réduction du sens vers le sexe/objet, au nom, bien entendu, de l'art et du sens. Se peut-il que tu ignores ces vérités pourtant capitales pour qui escompte percer un tant soit peu le brouillard du mystère? Que tu estimes vraiment que la pornographie constitue une révolution esthétique? Si c'est le cas, pauvre de toi! Oui, pauvre de toi, d'autant que tu reprends le jeu bien connu et bien pervers des réglementaristes, qui revient à jouer sur la limite pour démontrer que ladite limite mérite au moins d'être repoussée, voire n'existe pas, sauf à l'état d'illusion morale et de tabou inutile. Prends garde, Ogien, et veille à te demander qui représentera la vieille breloque décatie : l'antique morale ou ta minable - impensée?
Le Comte dépense.

Les chemins du plaisir 106

La fin de l'entretien tourne vraiment au déplorable. Tandis qu'Enthoven s'interroge sur le sens du terme pornographie, sans citer son étymologie pourtant éclairante, Ogien joue les subversifs d'un autre temps en se prévalant du combat contre l'Infâme. La différence entre Voltaire au dix-huitième et Ogien au vingt-et-unième? Simple question de style? Il est vrai qu'elle est abyssale... Le seul point digne d'intérêt : Enthoven rappelle quand même à Ogien le transgressif, qui s'imagine sans doute vivre en Arabie Saoudite, ou qui aimerait en son for intérieur que des films X soient projetés vers dix-sept heures au sortir de l'école, que la confession mystico-anale de Bentley, malgré ses relents diarrhéiques, est en vente libre dans n'importe quelle libraire de gare. Comment se fait-il qu'un livre pornographique soit en vente libre et pas un film X? Comment se fait-il qu'un fin lettré comme Enthoven, un diplômé sorti d'Ulm, agrégé de philosophie, bref détenteur des meilleurs titres universitaires, pose une pareille question? Serait-ce que l'omnipotence de l'image, singulièrement cinématographique, soit portée et défendue par ceux qui devraient en être ses contempteurs, même raisonnables? En tout cas, c'est par la bouche d'un lettré que s'opère la trahison, relayée par un autre scribe, assez scribouillard celui-là si j'en crois ses interventions bas de gamme, comme les produits explicites qu'il défend logiquement, l'air de rien. Pourtant, l'explication est évidente : c'est que l'image exhibe d'autant plus la seule et immédiate apparence du réel, soit la représentation la plus fallacieuse et trompeuse, qu'elle se veut explicite. L'interdiction aux mineurs, pour arbitraire qu'elle soit dans une certaine mesure, s'explique de façon justifiée par le danger que représente cette réduction et la violence qu'elle charrie, alors que l'écriture permet non seulement la distanciation du lecteur, mais institue en son déploiement l'approfondissement du réel, à tel point que l'écriture médiocre rate le coche ou laisse un goût d'inachevé. J'en veux pour preuve le témoignage ambigu de Sade, dont on hésite toujours à estimer qu'il procède de la déraison ou de la distraction. Au pied de la lettre, Sade délire. Avec des pincettes, c'est le lecteur qui délire... Quant au visionnage d'un film porno, je ne voudrais pas être désobligeant, mais le délire est d'autant plus effectif que les participants prennent très au sérieux leur activité pourtant grotesque. Le délire est ici pris au pied de la lettre, dans le littéralisme le plus immédiat - littéralisme lugubre qui confine, comme de juste, avec le minimalisme dont se réclame Ogien. Autrement dit, c'est la structure de l'image qui contraint à prendre la représentation du réel au pied de la lettre; quand la structure de la lettre engage la représentation à s'en éloigner et à guigner du côté de l'approfondissement et du mystère.
Pour le reste... Le Comte est bon!

Les chemins du plaisir 105

Ogien énonce tellement d'approximations caricaturales qu'il se fait couper par Enthoven.
"Oui, mais pardon, Ruwen Ogien, le critère n'est pas forcément un critère moral, qui consiste à dire : "Il a beau dire oui, en fait il dit non parce que le fond de son âme est pur", ou bien : "Il a beau dire oui, ce qu'il fait est quand même mal, parce que Dieu a interdit la sodomie"! Le critère n'est pas forcément moral! On peut aussi considérer par exemple en lisant Spinoza que tout homme qui souhaite se nuire finalement, qui cherche à se nuire, est un homme qui se fait une fausse représentation du bien, à laquelle il adhère de ce qui est bon pour lui, et qu'une connaissance claire et distincte, ou qu'une connaissance non mutilée, qu'une connaissance complète, suffirait à dissoudre... On n'est pas obligé d'être dans la morale à l'instant où...
Ogien : - Là où je suis d'accord avec vous, je serais très, très heureux si cette conception qui extrait de la morale le rapport à soi-même était plus répandue. Mais le problème, c'est que le rapport à soi-même, l'idée de devoir envers soi-même sont je dirais presque des piliers de la philosophie morale traditionnelle. Ils font peut-être même la base de l'enseignement du professeur de philosophie ordinaire, apprendre aux gens à être tempérants, à être mesurés, modérés dans leurs propos, à essayer de ne pas gâcher leur talent, à faire quelque chose de leur vie, etcétéra, ce sont des chose qui font partie de l'éducation ordinaire, donc mon souci, c'est de, de, que, comme vous venez de le dire d'ailleurs, de, de, d'extraire tout ça du domaine moral."


Quand la bêtise est au-dessus des mots, que faut-il faire?
1) Qu'est-ce que la morale pour que nos deux histrions de la philosophie prétendent de concert en finir? Si al morale se réduit à la croyance dans le Bien et le Mal objectifs, je veux bien écouter; mais s'il s'agit d'aller à l'encontre du principe de délimitation et de distinction, alors aucun philosophe, je parle sous le contrôle du grand Spinoza, n'a osé pareille folie. Serait-ce que le nihilisme soit suffisamment à al mode pour qu'il se permette des insinuations qui, loin d'abolir toute morale, rétablissent in fine la morale la plus moraliste et la plus étriquée, la morale de la violence et de la - pornographie?
2) D'après Enthoven lui-même, la pensée d'un philosophe majeur comme Spinoza réfute le principe de la séparation entre l'individu consentant absolument/immédiatement et les autres individus. La notion de nuisance envers les autres s'enrichit de son corolaire, la nuisance contre soi, qui est jugée, sinon identique, du moins aussi pernicieuse.
3) La réponse d'Ogien laisse perplexe sur les facultés d'Ogien. Je cite, il faut bien le confesser, l'énergumène : "Je serais très, très heureux si cette conception qui extrait de la morale le rapport à soi-même était plus répandue. Mais le problème, c'est que le rapport à soi-même, l'idée de devoir envers soi-même sont je dirais presque des piliers de la philosophie morale traditionnelle". Qu'est-ce que le rapport à soi-même désigne-t-il et en quoi ce rapport diffère de la morale pernicieuse? C'est ce que nous saurons d'autant moins que Ogien, jamais à court d'avanies, oppose explicitement en quelques mots le rapport à soi-même (comme extraction positive de la morale) au... rapport à soi-même (comme "idée de devoir envers soi-même"). Est-il besoin de préciser que les seules originalités qu'Ogien juge bon de joindre à sa déclaration triomphale concerne des attaques contre la morale traditionnelle la plus éculée, sans doute le moralisme identifié depuis longue date et qui n'est pas le moralisme nuisant de l'époque. Si Ogien escompte jouer les Spinoza de son temps, il apprendrait que les moralistes d'aujourd'hui ne sont plus les obscurantistes religieux, mais les pornographes impénitents. L'obscurantisme change de camp et les propos d'Ogien qui suivent sont désolants de platitude antimoraliste et de stéréotypes prévisibles.
Le Comte est bon.

Les chemins du plaisir 104

Se rend-on compte qu'Ogien livre avec un aplomb confondant de la liberté la définition du totalitarisme libertaire? Laisser entendre que l'individu est libre de faire ce qu'il veut de sa propre vie (à condition qu'il ne nuise pas à celle d'autrui) est rigoureusement fausse et se trouve démentie par de nombreux exemples. Il est facile de montrer, et Kant notamment l'a fait, que l'individu n'est pas propriétaire de sa vie, que sa vie appartient au genre humain, en relation avec le passé, le présent et le futur. Sans doute est-ce la raison qui provoque chez Aristote tant d'hésitations entre l'individu et l'espèce pour localiser, si je puis dire, l'essence. La définition que reprend Ogien légitime l'idée de liberté comme libération des limites. La mauvaise foi, patente, mérite d'être décortiquée comme un modèle du genre. Ogien introduit une fausse limite en ce que l'individu comme limite de la liberté absolue est éminemment contestable. Nul besoin de revenir sur les preuves qui démontrent la légèreté avec laquelle Ogien expose son objectivité. Je me demande d'ailleurs si Ogien ne confond pas, avec une certaine bonne foi déconcertante, objectivité et objectivation, tant il use et abuse de procédés qui consistent à attaquer au nom de l'objectivité, alors qu'il se situe, plus que la polémique, dans le parti-pris de la plus haute partialité (et, ajouterai-je, de la plus haute impertinence à l'encontre de la réalité). Il résulte de tout ce fatras, professé avec l'aplomb du moraliste nihiliste, une doctrine de l'Etre qui correspond en tous points aux attendus de l'ultralibéralisme. L'annonce fracassante de l'individu comme fondement ontologique permet :
1) de légitimer, par le truchement du plaisir et de la violence notamment, la réification du monde extérieur, puisque l'individu-fondement étant l'essentiel, l'environnement sombre dans l'accidentel.
2) de réifier le fondement lui-même, puisque l'individu ne se trouve promu au fondement du réel qu'à la condition de présenter l'apparence et l'immédiateté comme les prémisses de tout discours ontologique.
Inutile d'ajouter à ce tableau consternant qu'Ogien présente sa méthode comme l'éloge du minimalisme, minimalisme ontologique qui sonne comme un aveu de la défaite de la pensée (le nihilisme incarne la défaite de la pensée), tant il est vrai que le minimalisme se confond (malheureusement) avec la réduction ontologique et que l'on ne comprend trop que la formidable violence, inscrite dans le projet réductionniste, soit louée par le projet au coeur duquel elle se trouve l'instigatrice - le minimalisme.
Le Comte est bon.

lundi 24 septembre 2007

Les chemins du plaisir 103 bis

Mettons côte à côte la définition kantienne de la morale et celle dont se revendique Ogien au nom de la liberté. La question cruciale est d'envisager si à chaque fois la limitation est envisagée de la même manière.
Ogien : "On a le droit de faire ce qu'on veut de sa propre vie tant qu'on ne nuit pas aux autres."
Kant : "Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen."
L'escroquerie est patente, car Ogien joue sur le fondement de l'individu quand Kant énonce la prudence élémentaire.
1) Ogien possède d'évidence un fondement ontologique : l'individu. L'individu est le fond et la fin du réel. Ce qu'Aristote avait tant peiné à édicter, Ogien le résout par oukase personnelle. C'est sans doute cela le minimalisme, mais l'on me permettra d'appeler cette caricature d'ontologie du simplisme borné. A moins que cette manière de prétendre que le fondement du réel est l'individu et le critère de la vérité l'apparence immédiate ne renvoie à l'ultralibéralisme, qui professe les mêmes évidences et se réclame du même terrain. La libération sexuelle a un arrière-goût de
totalitarisme légitimé (à l'aveuglette).
2) Pourquoi Kant, malgré toutes les critiques qu'on peut lui adresser, est un grand philosophe, quand Ogien est un idéologue positivement objectif, un Cottard de la philosophie, un Rastignac de l'objectivité? Kant se garde bien, au sens du garde-fou(et) et de la véritable profondeur de la cohérence, d'énoncer de manière péremptoire que l'individu est le fondement ontologique du réel. La fin chez Kant ressortit de l'humanité, non de l'individu. Où Ogien établit le critère d'une liberté sans limite pour le propre de l'individu, Kant rappelle que chaque vie compte dans le registre de l'humanité, renvoie à l'avenir de l'humanité, et que l'implication de la liberté individuelle ne saurait se résumer à l'individualité. Elle engage bien plutôt l'humanité dans chaque action individuelle. Kant déjoue le piège du totalitarisme comme fantasme de la liberté et de la libération absolue, dans lequel Ogien tombe allègrement. Pas seulement. Kant prend conscience que le fondement de la liberté et du consentement ne saurait se limiter à l'individu, car l'individu n'existe jamais à l'état de pureté. Son existence implique toujours celle de ses congénères, tant dans le moment présent que dans ceux passés et à venir. Cette évidence, qu'Ogien ne contesterait nullement en matière de politique, est évoquée dans la sphère privée au nom de l'utopie selon laquelle la sphère du privé ne concernerait que l'individu. Ogien serait-il nostalgique d'un état où la liberté serait totale et absolue, et qui expliquerait sa soif de libération sans limite? En tout cas, sa définition de la liberté évoque, je le répète une nouvelle fois, avec trop de précision l'ultralibéralisme pour qu'on ne s'y attache pas. J'y reviendrai. Contre cette séparation confinant au cloisonnement, rappelons que l'individu n'est jamais seul, à son grand avantage (il aurait disparu depuis belle lurette de la liste des espèces vivantes) et pour sa plus grande responsabilité. Le fondement ontologique de la liberté renvoie en définitive au fondement ontologique de la vie, qui n'appartient à aucune individualité, mais énonce le principe de l'entre-deux ou de l'altérité. La liberté de l'individu implique celle de l'espèce dans son ensemble, sa tradition et son avenir. La liberté est altérité dans la mesure où elle est pérennité. La liberté d'Ogien est une duperie en ce qu'elle nie le principe d'altérité et de pérennité et sépare l'individu de sa responsabilité humaine (au sens d'humanité). L'imposture d'Ogien consiste à laisser croire que l'action individuelle n'implique et ne concerne que l'individu consentant. Si l'individu est un fin, c'est pourtant qu'il implique l'humanité dans sa manifestation d'absolu. L'individu selon Ogien est un être morcelé du réel, une créature dont le fond et la fin renvoient à son propre autotélisme dévoyé.
Qu'Ogien lise Dostoïevski et le Comte sera bon.

Les chemins du plaisir 103

Ogien : - Tout ça, c'est vraiment du paternalisme pour moi! Il faut accepter ce que les gens disent, il faut avoir des critères assez minimalistes du consentement, parce qu'autrement, même le vote dans les états démocratiques serait supposé être toujours, euh..., ne serait jamais supposé représenter le consentement du peuple donc."

Je passerai sur le crétinisme insultant pour la compréhension de la violence et de la souffrance qui consiste à expliquer par le paternalisme l'enfermement consenti dans la destruction. Je retiendrai qu'Ogien commence son apologie du minimalisme comme éloge du simplisme béat et repu. Qu'est-ce que le minimalisme à la sauce Ogien? Il s'agit de décréter, avec un aplomb qui confine au coup de force, que la vérité tient dans la première apparence, immédiateté qui tient ici à la première parole. On pourrait objecter que voilà plusieurs minutes qu'Ogien saborde tous les vrais problèmes poru en conserver que ceux qui lui permettent de sauver la face (objective). Le premier des détectives se trouverait perplexe et dans l'impossibilité d'effectuer son travail s'il était contraint de suivre la définition de la vérité selon Ogien. Dans ce cas en effet, n'importe quel accusé dit la vérité et les seuls coupables sont ceux qui avouent les fautes qu'on leur reproche. Problème : la plupart des accusés mentent et ne sont nullement innocents, contrairement à leurs prétentions. Problème connexe : certains accusés consentent à avouer des fautes qu'ils n'ont pas commis. Si l'on suit le raisonnement d'Ogien : les accusés d'Outreau sont-ils coupables ou innocents, sachant qu'ils ont clamé leur innocence, mais que de célèbres criminels pédophiles ont fait de même? Sachant aussi que leur parole immédiate se heurtent aux dénonciations consentantes de leurs accusateurs? Le critère que suit Ogien est tout simplement aberrant et démontre que l'objectivité selon Ogien consiste moins à chercher la vérité qu'à vouloir démontrer ce qu'on désire intimement. Je suis désolé de ma psychologie de comptoir. Faut-il interpréter plus subjectivement le rejet du psychologisme et de la complexité chez notre philosophe des trottoirs? Le complexe opposé au simplisme, constatation qui ne manque pas de piquant! Pourtant, Ogien, qui compile les perles pour un bêtisier, explique son argument faux par la défense de la démocratie. Définition de la mauvaise foi : invoquer son ennemi comme son ami. Que veut dire être sens dessus dessous? Bien, je récite : "Même le vote dans les états démocratiques serait supposé être toujours, euh..., ne serait jamais supposé représenter le consentement du peuple donc." Ogien fait bien de s'emberlificoter les pinceaux. Car si on le suit, le vote reposerait sur un principe de vérification et de consentement qui est également invoqué pour les élections truquées des pays totalitaires, magistralement remportées par les dictateurs démocrates! La validité démocratique ne dépend donc pas du minimalisme qu'invoque Ogien, mais de principes de vérification qui contredisent précisément l'immédiateté et l'adhésion naïve à l'apparence. Les controverses indéfinies entre experts dubitatifs et régimes totalitaires jurant leur bonne foi indiquent assez que la démocratie ne se vérifie jamais sur la première apparence. Idem pour le consentement : ce n'est pas la première parole qui témoigne de sa vérité. Sans quoi cette stupidité énoncée par Ogien supposerait que le citoyen jurant de son consentement après torture est bien consentant, au nom du critère de décidabilité du consentement (sous-entendu : la définition du consentement suppose la négation du réel, ce qui est absurde). Le moins qu'on puisse en conclure est que le raisonnement d'Ogien, s'il ne clarifie nullement la définition des représentations qu'il aborde, sans les toucher pour mieux y retoucher, valide à chaque fois la légitimation de la violence. Pas de n'importe quelle violence. Du monstrueux et de l'abject indéfendables. Ogien est l'avocat par la preuve objective de l'indéfendable. Ogien serait-il en fin de compte l'avocat du diable? En tout cas, notre Ogien à la réputation internationale de philosophe du délire, après les philosophes du soupçon, n'est pas pour rien édité en compagnie de la grande prêtresse Ovidie et de la mystique Bentley : il ne fait rien de moins que permettre le retour du totalitarisme en terre démocratique au nom de la démocratie. Si sa méthode n'était aussi affligeante, son désespoir méthodologique accroîtrait sa hardiesse quasi téméraire. Oser de pareilles divagations, faut le faire!
Le Comte est kamikaze!

Les chemins du plaisir 102

Enthoven cite Ogien : "Prenez le cas du consentement en matière sexuelle. Les plus conservateurs ont toujours rejeté l'idée que le seul critère du permis et de l'interdit en matière sexuelle, c'était le consentement des partenaires. Et pour cause, ça c'est moi qui l'ajoute, s'ils l'admettaient, ils ne pourraient plus crier au scandale devant la prostitution, l'homosexualité, les pratiques sado-masochistes ou les mères porteuses, comme ils le font habituellement."
R. Ogien, La liberté d'offenser.

Après un long galimatias, Ruwen Ogien, qui prétendait passer la pornographie au crible de ses critères objectifs et minimalistes, laisse la parole à Enthoven. Enthoven, dont on ne sait s'il joue un jeu ou appartient vraiment au nihilisme contemporain, lâche innocemment en tout cas l'éditeur de l'opus d'Ogien. Stupeur et ébranlement, celui-ci se trouve être les trop connues éditions de la Musardine, éditions érotiques et parisiennes qui éditent déjà Ovidie et... Bentley. Evidemment. On mesure l'impartialité et l'objectivité d'invités comme Ogien à l'aune de telles critères. Le moins qu'on puisse relever, c'est qu'Enthoven n'a pas eu besoin de trop chercher avant de confectionner sa carte des partisans du réglementarisme sexuelle et pornographique : il a ouvert Philosophie magazine, au comité de rédaction duquel il participe, et a consulté la liste proposée en parallèle par la Musardine. Peut-être les deux en même temps? Je ne sais au juste et préfère au fond ne pas approfondir. Certains rapprochements valent mieux que de longs et oiseux commentaires.
1) On remarquera que le consentement permet à Ogien de réhabiliter pêle-mêle la "prostitution, l'homosexualité, les pratiques sado-masochistes ou les mères porteuses". Quel fourre-tout admirable! Quelle cohérence pour un analyste de l'objectivité minimaliste! Si je comprends tout, dénoncer la peu de pertinence du consentement en matière de prostitution, c'est aussi être contre l'homosexualité, dont on sait qu'elle relève d'un choix de l'individu certain et incontestable. Consentir à la prostitution, à l'homosexualité, au SM, aux mères porteuses, le moins qu'on puisse dire est que le consentement ici invoqué ne renvoie pas du tout au même consentement! C'est une escroquerie intellectuelle à laquelle se livre Ogien!
2) Si l'on analyse en bref la définition implicite qu'Ogien livre du consentement en matière d'homosexualité, elle implique que l'individu choisisse sa sexualité, ce qui relève de l'aberration profonde. Ogien se contenterait-il une fois de plis d'évacuer le problème de fond du consentement pour mieux parler du consentement entre partenaires homosexuels? Dans ce cas, sa méthodologie est d'une pauvreté affligeante... C'est ça, Ruwen, l'objectivité? Pas seulement : le fort déterminisme présent dès lors dans le consentement totalitaire (tel qu'Ogien l'édicte et selon les équivalences d'Ogien) réhabilite aussi le scandale intellectuel par excellence : si consentir, c'est aussi consentir au donné déterminé, les personnes qui se livrent à la prostitution consentent dans l'exacte mesure où elles sont de la caste des prostituées. On peut aussi consentir à être noir et esclave, mais est-il besoin de citer la présente aberration pour comprendre que l'argumentaire d'Ogien recèle des saveurs et des souvenirs nauséabonds?
3) Avec une puérilité polémique affligeante, Ogien tombe le masque. Son objectivité est d'une telle partialité pour qui n'en aurait pas pris acte qu'il n'hésite pas à procéder à des amalgames ridicules : qui sont ces conservateurs qu'ils stigmatisent d'autant plus que sa bouche bredouillante les loue par contrepoint et contre exemple? Ogien se rend-il compte qu'il pense tellement faux qu'il finit toujours par indiquer le vrai - sous le faux? Que le conservatisme dont il prétend se libérer le mène droit au totalitarisme ultralibéral? En tout cas, mettre dans le même chapeau ceux qui nient le consentement des personnes prostituées et ceux qui nient le consentement des homosexuels, chapeau! Remettre en question le consentement des personnes prostituées, c'est énoncer une évidence ontologique sans laquelle l'activité élémentaire serait anéantie. Je n'envisage même pas la psychologie, puisqu'Ogien la réfute au nom de l'objectivité (le simplisme des attaques puériles d'Ogien est effrayant : l'analyse psychologique relève, au choix : du psychologisme méprisé; du conservatisme à tendance fanatique et religieuse; du paternalisme bourré de préjugés grotesques). Ogien se meut dans un monde d'équivalences aussi logiques qu'infiniment simplettes. Abolitionniste=homophobe. Sans doute aussi=prohibitionniste, obscurantisme, j'en passe et des salades. Ainsi va l'objectivité : rappeler que la violence rend caduc le consentement des personnes prostituées implique rationnellement que l'on soit contre l'homosexualité... Décidément, les éditions de la Musardine doivent sans doute chercher un nouveau Sade pour autoriser de telles dérélictions, qui, fort heureusement, favorisent les opinions stipendiées comme les voix de la justesse et de la réalité conjuguées!
Le Comte est long.

Les chemins du plaisir 101

Ogien : - On a le droit de faire ce qu'on veut de sa propre vie tant qu'on ne nuit pas aux autres."

1) C'est au nom du principe idéal qu'Ogien évacue le vrai problème : l'individu consent d'autant plus à des actions destructrices qu'il ne saurait être dans le consentement (notion déjà éminemment contestable, ce qui redouble encore le halo d'incertitudes recherché).
2) Ogien introduit une limite idéale et non réaliste qui lui permet idéalement de sauvegarder l'apparence de cohérence non totalitaire de sa proposition. Pour autant, cette maxime sonne dans la bouche du représentant Ogien comme un détournement de la philosophie des Lumières : en effet, on nuit aux autres quand on nuit à sa propre vie - et il est des positions où cette nuisance est particulièrement évidente et éclatante, je ne pense pas seulement à la pornographie.
3) Qu'est-ce que la vie? La vie est-elle telle si on propose comme fondement ultime la seule individualité? Quand prendra-t-on en compte l'altérité et la pérennité comme limites au droit et à la liberté de "faire ce qu'on veut"? Quand comprendra-t-on qu'il est une mesure entre ne rien faire (royaume de l'interdit nihiliste) et faire ce qu'on veut de soi-même (royaume de la puérilité nihiliste)?
Le Comte est bon.

Les chemins du plaisir 100

Ogien : - Je voudrais que ce débat autour de la sexualité, de savoir si dans certaines conditions elle nous apporte le bonheur ou pas, je l'ai mise de côté. Ce qui m'importe simplement, c'est ce que j'appelle la liberté négative, c'est-à-dire que des adultes consentants ont le droit de faire ce qu'ils veulent entre eux du moment qu'ils sont consentants et adultes. Que ça leur apporte le bonheur ou pas, c'est pas la question qui me préoccupe."

1) Ogien fait de la philosophie objective dans la mesure où il évacue (et pose mal) les vrais problèmes. Avant de revenir sur le problème de fond, il est intéressant de constater que la liberté négative ne signifie strictement rien. Quand on invoque le consentement comme notion de référence, encore faudrait-il être en mesure d'assurer que le consentement existe bien. C'est loin d'être le cas et notre philosophe de l'objectivité oublie de préciser que plus il y a de violence, moins il y a de consentement. Subitement, le consentement perd sa valeur de référence absolue et naïve, comme si chaque homme était doté d'une dose égale de consentement et avait la liberté de l'utiliser. Je mets au défi Ogien de le prouver, et, en attendant une quelconque réfutation, je constate une énième fois que c'est au nom du libre-arbitre que s'effectue la légitimation de la violence crapuleuse. La phrase : "Des adultes consentants ont le droit de faire ce qu'ils veulent entre eux du moment qu'ils sont consentants et adultes" est un très beau programme, d'autant plus mensonger que son invocation dans le domaine de la sexualité, si elle trouve des échos favorables, est radicalement contredite par le domaine de la vie publique. Il semblerait que la mentalité démocratique, bien en peine de statuer sur les rapports de la liberté et de la violence, se contente d'invoquer prudemment le consentement pour légiférer sur la sexualité, en escomptant que ce pis-aller fonctionne, alors qu'elle se garde bien d'un tel flou dans la vie publique. Que le consentement soit invoqué pour expliquer certaines dérives violentes politiques et la démocratie s'effondrerait. Que l'on reprenne la phrase d'Ogien, qui sonne comme un manifeste utopique idéal et irréfutable dans le formel, et qu'on l'applique au dopage (destruction de la santé) ou aux règlements de compte mafieux (destruction de la santé). Accepterait-on que des avocats de champions sportifs invoque le consentement poru justifier de pratiques de dopage délictueuses; que des avocats de caïds expliquent tranquillement que les prévenus s'adonnaient à un jeu consentant, où toutes les règles sont fournies à l'avance? Laissera-t-on en paix le cannibale qui tue, dépèce et déguste un soi-disant volontaire recruté par petites annonces et consentant au nom du consentement entre adultes? Pourquoi ce deux poids, deux mesures, qui évoque de façon pénible et lancinante la mauvaise foi travestie en belle intention? Pourquoi Ogien participe-t-il de cette impulsion totalitaire qui consiste sans cesse à harceler la limite pour mieux la repousser?
2) Quant à la question du bonheur et de la liberté : si Ogien faisait l'effort de penser, au lieu de collecter les impensés, il n'évacuerait pas la question du bonheur comme oiseuse et superflue. Je rappellerai aux oreilles de ce distrait singulier que ce n'est pas le bonheur qu'il évacue en prétendant affronter la question essentielle du consentement. C'est plutôt qu'il invoque un thème d'exploration inexistant (le consentement) pour ne pas évoquer un autre thème flou (le bonheur), afin d'échapper à la vraie question : la pérennité de la race humaine. Car si l'homme laissait la libération du totalitarisme se produire, l'intrusion de la pornographie dans les moeurs sexuelles comme prolongement conséquent de l'ultralibéralisme, c'est l'anéantissement qui guetterait l'homme. A l'intention des nihilistes : rassurons-nous, il se profile déjà. Toujours à l'intention des nihilistes : désolons-nous, il ne se produira pas.
Le Comte serait-il con?

jeudi 20 septembre 2007

Les chemins du plaisir 99

Le coup du plaisir cru comme plaisir vrai ou plaisir réel me rappelle étrangement l'expression : "Le roi est nu"... Allez savoir pourquoi! A la réflexion, j'ai mon hypothèse sous le coude : on a beau chercher à découvrir le vrai réel dans le sang de la crudité, on a beau expliquer sans gloire que le plaisir relève de l'expérience de l'écorché vif, la vérité de la pornographie rejoint la vérité du réel : malgré tous nos efforts pour apercevoir le Saint-Graal, en l'occurrence la vérité du réel, tout effeuillage n'est jamais qu'une arnaque. Quand bien même le strip tease serait des plus experts, le voyeur ne voit littéralement rien, rien d'autre que du réel, de l'ordre - et basta. Raison pour laquelle l'effeuillage, qui suppose qu'on enlève la première couche, ne laissera jamais apparaître qu'une deuxième couche - opération bien connue des poseurs de papiers peints. Quand bien même la personne qui réalise l'effeuillage irait jusqu'à sacrifier sa vie en s'écorchant la peau, ce ne sera jamais qu'une troisième couche - et ainsi de suite. Sans doute le snuff movie participe-t-il de cette manie perverse de découvrir le réel sous les apparences, jusqu'à la mort. La poursuite de cette obsession est totalement vaine. Le plus aguerri des enquêteurs rentrerait bredouille, déçu de n'avoir jamais distingué qu'une indéfinie superposition de couches les unes sur les autres, un certain ordre sur un certain ordre, à l'infini. Cette constatation sonne l'échec de la pornographie (au passage, on mesure à quel point les accusations de monomanie d'Ogien relèvent de la démarche pornographique). Loin d'accoucher de la vérité du réel, le plaisir cru n'a rien d'autre à divulguer que sa crudité, soit le fait que l'ordre cèle l'ordre, selon le sceau du cercle vertueux. On comprend l'expérience déceptive de tout effeuillage, de tout spectacle pornographique, de toute expérience prostitutionnelle. Fondamentalement, l'acteur de ce jeu de dupes attendait de découvrir la vérité sous la réduction - le réel sous l'objet. Il n'aura obtenu qu'un peu d'ordre habituel - et du néant. De plaisir véritable, point du tout. Raison pour laquelle, pour finir, face à ce vent (dans tous les sens du terme, puisque aujourd'hui, un vent signifie aussi un râteau), l'individu en quête de plaisir et de réel risque fort, s'il ne comprend pas au moins intuitivement les raisons de sa mésaventure et de sa déconfiture, de sombrer dans la surenchère. Pour combler la béance de l'échec, il se voit contraint d'augmenter les doses, dans l'illusion de trouver un plaisir qu'à l'instar du toxicomane, il n'est pas prêt de trouver.
Le Comte est bon!

Les chemins du plaisir 98

L'étymologie est admirable! Tant Enthoven qu'Ogien tombent d'accord pour parler de sexe cru comme du moyen d'accès de la sexualité au réel. Je passe sur le fantasme d'accéder au réel par la sexualité crue. La sexualité crue renvoie littéralement à la sexualité sanglante. Peut-être nos deux compères escomptent-ils, dans un réflexe commun contre la misogynie, conférer à l'homme une violence menstruelle au moins égale à celle dont la femme se voit affligée? Trêve de plaisanterie à connotation psychanalytique. Enthoven et Ogien louent (sans s'en rendre compte?) le principe de la sexualité sanglante. Quand je les entends, prosateurs verbeux et vaniteux, je me dis qu'il ne faut pas s'étonner du vocabulaire de la violence et de la destruction qui régit symboliquement la sexualité pornographique. Défoncer, éclater, se taper, frapper..., la liste serait longue, mais tous ces termes sans équivoque qui prétendent décrire le rapport sexuel (et le déforment bien entendu en le réduisant à la violence) rejoignent au final la conception de la sexualité sanglante. Où l'on voit que la destruction est une imposture redoutable en ce qu'elle promet en plus l'accession au réel, alors qu'elle ne débouche que sur l'anéantissement.
Le Comte est long!

Les chemins du plaisir 97

Ogien : "C'est une conception qui est tout à fait respectable de la sexualité. On pense que le point de départ, il faut dire, enfin la tradition philosophique, l'arrière-fond si vous voulez de cette conception, c'est que le sexe cru, sans lendemain, sans amour, pour de l'argent, etcétéra, est mauvais, donc y'a quelque chose là-dedans si vous voulez, y'a par contraste une conception de la sexualité qui nous est vendue et qui a tendance à considérer que, a priori, si la sexualité n'est pas encadrée d'une certaine façon, alors quelque chose qui pourrait détériorer les rapports humains, ou le rapport de la personne à elle-même, ou toutes sortes d'autres choses..."

Ogien procède à tellement de confusions logiques qu'elles s'ajoutent encore, si besoin en était, à sa diction confuse... Courage, Koffi, la bête remue encore, mais elle est à terre!
1) La conception respectable en question, c'est la conception de Marzano, en gros la conception chrétienne, pour simplifier, et, en philosophie, la conception d'obédience kantienne (la liberté suppose sa limite, autant extrinsèque qu'intrinsèque).
2) La duplication fantomatique est l'arme du raisonnement de la mauvaise foi. Ogien utilise l'argument bien connu des rhéteurs réglementaristes en matière de prostitution : ce n'est pas que la prostitution forcée n'existe pas, bien au contraire; c'est qu'il existe aussi une prostitution libre... Idem pour Ogien : la conception de Marzano est juste, à condition qu'elle respecte aussi d'autres conceptions du sexe. Justement, Ogien appelle à tolérer sa conception alternative, minoritaire sans doute, qui consiste par définition à remettre en question le principe de limitation. Par conséquent : Ogien appelle un principe à tolérer le principe qui lui est, non pas contraire, mais mortifère. C'est un peu comme s'il appelait la tolérance à respecter l'intolérance, faisant fi du fait que cette tolérance disparaîtrait si elle en venait à respecter l'intolérance. Où l'on voit qu'Ogien, comme tous les totalitaires, est dangereux.
3) S'en suit une longue énumération fort confuse.
4) Puis, miracle, une équivalence : "Le sexe cru, sans lendemain, sans amour, pour de l'argent". Si l'on comprend bien Ogien, le sexe sans lendemain, le sexe pour le sexe (formule courante, qui ne veut rien dire d'ailleurs) équivaudrait au sexe tarifé? Non seulement, l'amalgame est douteux, mais c'est qu'il ferait presque frémir de crainte le dragueur impénitent de boîtes, notre Ogien sans frein!
5) L'étymologie crudelis désigne la chair écorchée et sanglante (crudus renvoie ainsi au cru, soit au non digéré, à l'indigeste). On voit mal par quel coup de force, n'en déplaise à Clément Rosset, qui s'égare à chaque fois qu'il entre sur le terrain moral, la chair sanglante serait le réel vrai dans la mesure où la chair serait débarrassée de la peau. L'analogie est hasardeuse et incertaine. Surtout, en parlant de sexe cru, Ogien énonce une vérité profonde : le sexe est d'autant plus indigeste qu'il est dénué de sentiments - et il devient carrément sanglant quand il réduit l'individu à un objet. Ogien se rend-il compte que les mots qu'il invoque apporte le démenti le plus cuisant à sa théorie par ailleurs fumeuse (de partout, y compris du crâne)?
6) "Une conception de la sexualité qui nous est vendue" : au choix. Soit cette formule malencontreuse est hilarante; soit elle est obscène...
7) "Si la sexualité n'est pas encadrée d'une certaine façon" : Ogien prétend bien abolir l'encadrement de la sexualité, soit, non le fait de pratiquer des interdits étouffants et odieux, mais le fait, aussi extrémiste et dangereux, et sans doute beaucoup plus, de nier le principe de limitation. Outre que ce type de libération est utopique, il est aussi fortement destructeur...
8) "Toutes sortes d'autres choses" : encore le principe de réification à l'oeuvre, tant chez Ogien d'ailleurs que chez Ovidie. Une paille, bien entendu...
Le Comte étouffe!

Les chemins du plaisir 96

Ogien : - En ce qui concerne la phrase d'Henry Miller, ce que j'en retiendrai, c'est un rapport que j'aimerais faire avec ce que j'appelle la liberté négative en matière sexuelle. Si vous voulez, y'a une grande tendance à penser que le sexe est quelque chose d'incroyablement bien pour les gens, de très, très mauvais, et qu'il faut, pour que ce soit acceptable, acceptable moralement du moins, encadrer dans des normes de fidélité, de gratuité, de réciprocité, etcétéra."

1) Bien que l'oral puisse ne pas être le fort d'un intervenant, on remarquera qu'Ogien, qui bafouille assez durant ses interventions, devient carrément confus quand il aborde la question du statut du sexe et de sa considération morale.
2) Ogien réussit l'exploit de se contredire en quelques mots : "Y'a une grande tendance à penser que le sexe est quelque chose d'incroyablement bien pour les gens, de très, très mauvais". Que penser de ce charabia? Que ce qui s'énonce aussi confusément n'existe tout simplement pas (ou à l'état d'illusions?)?
3) Le raisonnement d'Ogien illustre au moins l'inversion de toutes les valeurs à son corps défendant : ce qui est bon est mauvais; ce qui est mauvais est bon.
4) S'il est aisé de répondre à l'erreur d'interprétation de faits, il est impossible de répondre à la confusion de sens, si ce n'est son absence pure et simple. Sans chercher à savoir si Ogien considère que le sexe est bon ou mauvais, à moins qu'il estime que le sexe est bon quand il est mauvais, et vice (dans tous les sens du terme!) et versa, la phrase "encadrer dans des normes" est remise en question à propos de la sexualité. Lecteur, ralentis : tu tiens face à toi l'essence de la définition totalitaire contemporaine, le modèle de proposition de libération au nom de la violence. Remettre en question la limite, la norme, l'encadrement est une belle utopie, mais cette absence de limite revient à tout autoriser. La liberté conséquente n'est libération que dans la mesure où elle pose la limite de l'altérité (pour commencer). L'absence de limite n'est jamais que la résurgence travestie du totalitarisme. Ogien, tu es démasqué : ta libération n'est rien d'autre que la libération du totalitarisme sous le prétexte de lutte contre les préjugés et le moralisme!
Bine qu'il déborde de toutes parts, le Comte est du moins clair!

Les chemins du plaisir 95

Ogien : - L'impression qu'il me donne, c'est que c'est un monde qui n'est pas hypocrite, au moins, à différents égards... Le fait de flouter les sexes, etcétéra, me paraît un peu ridicule et je vois pas de différence morale entre la présentation d'un pénis en érection et un peu mou vu de loin, etcétéra. Enfin, y'a peut-être des différences évidemment à différents égards, mais pas du point de vue moral!"

Produire de telles salades et les exposer en tant qu'expert... Ces platitudes sont navrantes de stéréotypes!
Ogien parle du monde de la pornographie, on l'aura compris. Selon le raisonnement d'Ogien ici exposé, l'hypocrisie consiste à cacher des motifs du réel, tandis que la vérité reviendrait à exposer le réel dans sa nudité (c'est le cas de le dire). Si Ogien pensait cinq minutes, lui qui se moque de ceux qui pensent avec leurs émotion, au lieu de nous entretenir de pénis en érection (son cerveau, lui, banderait-il mou?), il se rendrait compte que sa proposition ne tient pas la route. La sculpture, pour ne citer qu'elle, abonde en nus, qui ne sont pas pornographiques. Pour une raison simple : la pornographie n'est pas le fait de représenter des corps nus, ou même des sexes en érection... La pornographie est la peinture, soit la représentation, de la prostitution. Autrement dit : elle consiste à représenter des objets. Par exemple : non un corps nu, mais une partie du corps, un sexe. Et pas un sexe en érection et immobile, si je puis dire; mais une relation sexuelle explicite entre deux sexes ou deux parties de corps. Autrement dit encore : le mensonge d'Ogien, son faux grossier en matière de pensée, consiste à opérer la confusion entre la statuaire nue, qui représente le corps dans la mesure où elle lui reconnaît un lien ontologique avec le réel (selon la théorie platonicienne de la valeur métaphysique du Beau), et la pornographie, par définition nue, qui consiste à pratiquer la réduction ontologique. Les résultats parlent plus que de longs discours. Alors que l'art nu a produit des chefs d'oeuvre impérissables, la pornographie produit à chaque réalisation des attentats contre l'art et la vie.
Le Comte est bon!

Les chemins du plaisir 94

Enthoven : - Est-ce que finalement, le monde de la pornographie n'est pas un monde par-delà bien et mal?"

Poser une telle question, c'est y répondre : être par-delà bien et mal selon Nietzsche n'est certainement pas abolir toute limite. Soit dit en passant : quel poison que ce Nieztsche pour autoriser toutes les récupérations les plus nauséabondes de son oeuvre!
Le Comte est bon!

Les chemins du plaisir 93

Enthoven : - En nietzschéen, on peut considérer que le mérite de la pornographie, c'est finalement de soustraire les phénomènes à toute forme de morale...

Quelle naïveté extravagante! Ou plutôt : je pencherais pour la naïveté si elle ne camouflait pas la plus odieuse récupération. Nieztsche invoqué par les pornographes, après avoir été honteusement calomnié par les nazis... Soit deux partis totalitaires agissant pour le bien du peuple. La pornographie se trouve présentée comme la représentation du réel le plus pur, c'est-à-dire du réel explicite, où rien ne serait caché. Malheureusement, cette conception, qui prétend réhabiliter la pornographie du fait de sa médiocrité interprétative, est un leurre grossier : l'absence d'interprétation est une interprétation, au même titre que toute autre interprétation. Pis, l'absence d'interprétation, démarche esthétique contraire à l'art s'il en est, rejoint l'interdiction de l'art authentique par tous les régimes totalitaires, ou sa confiscation aux besoins idéologiques du régime totalitaire. Aveu accablant... Ce n'est pas tout. De pire en pire, l'idée que le réel véritable passe par sa représentation la plus directe, la plus sensible, la plus explicite, n'est pas seulement un démenti cuisant aux démarches picturales comme celles de l'hyperréel (qui ne copient au plus près le réel qu'en procédant à des exagérations ou des distorsions). Elle est surtout le formidable révélateur d'une idéologie, celle de l'Hyperréel, selon laquelle le vrai réel est celui qui est représenté au nom du réalisme forcené. Quelle violence sous ce mensonge effarant et simpliste! Enthoven, propagandiste du système ultralibéral et nihiliste, la philosophie suppose de l'énergie, pas du brillant!
Le Comte est trop bon!

Les chemins du plaisir 92

Enthoven : - Il n'y pas de phénomènes moraux, il n'y a qu'une interprétation morale des phénomènes."

Cette définition d'Enthoven, qui vulgarise la conception nietzschéenne en matière de morale, laisse entendre que le réel n'est pas moral. Hypothèse fort profonde, je le dis sans ironie - à condition que les phénomènes purs, débarrassés de leurs oripeaux interprétatifs, ne soient pas interprétés, avec une conséquence qui laisse songeur, comme favorable à la morale pornographique...
Le Comte est bon!

Les chemins du plaisir 91

Enthoven : - Est-ce que l'image qui est donnée de la femme dans Koh-Lanta, par exemple, pour ne pas citer l'émission qui est sur TF1, vous semble euh...
Ogien : Non, je suis d'accord avec vous, y'a tellement d'autres choses, c'est pour ça que j'ai pensé que la focalisation, si vous voulez, un peu monomaniaque sur la pornographie, alors qu'il y a tellement d'autres choses qui abaissent, enfin, qui vont à l'encontre de la dignité des femmes, était suspecte."


1) L'argument que déploie Enthoven exhale par tous les pores la mauvaise foi rance. En somme, le négatif permet de faire passer le négatif pour positif, au terme d'une différenciation implicite entre les deux négatifs qui laisse pantois l'auditeur. Ca me rappelle Matzneff relativisant les crimes de certains pédophiles au nom des atrocités commises par les Américains au Vietnam (point de vue de gauche, s'il en est). Comme par enchantement, la pornographie se trouverait réhabilitée du fait que des émissions stupides et portant atteinte à la dignité des femmes sont diffusées sur les chaînes hertziennes... Le raisonnement sain consisterait à condamner tous les travers selon leur juste mesure. Au fait, puisqu'Ogien approuve, comment se fait-il que le raisonnement reconnaît implicitement et insidieusement l'atteinte à la dignité des femmes (dans Koh-Lanta) alors qu'il prétendait le nier (dans la pornographie seule)? La comparaison laisse apparaître la contradiction la plus grossière... Il faudrait savoir et cesser de commettre de telles fautes contre l'entendement. Pour un philosophe, c'est suspect; pour un logicien professant l'objectivité, cela se passe de commentaires superfétatoires!
2) Je ne sais pas quel complexe agite Ogien, mais le "non, je suis d'accord avec vous" est des plus savoureux!
3) "Il y a tellement d'autres choses qui abaissent, enfin, qui vont à l'encontre de la dignité des femmes" : explicitement, Ogien reconnaîtrait-il, quand l'argument semble l'arranger, l'existence d'une dignité qu'il déniait quelques secondes auparavant quand elle s'appliquait à la pornographie?
4) Quant à ce sexisme inversé, je proteste : si atteinte à la dignité il y a, elle ne saurait s'appliquer qu'à l'être humain, sans préjuger de son sexe!
5) "focalisation monomaniaque", "suspect" : bigre! Le contempteur de la pornographie se trouve soit promis à l'asile de fous, soit à la garde à vue. On remarquera que ce jugement pourrait opérer pour des prohibitionnistes particulièrement intransigeants, mais qu'il est ridicule à l'encontre d'abolitionnistes conséquents. Où le raisonnement devient tordu et tortueux, c'est quand notre logicien de choc commet son coup de force contre la logique et surtout le jugement. Il faudrait savoir : soit le prohibitionnisme est suspect dans tous les cas - et Ogien est un prohibitionnisme, puisqu'il prétend enfermer ceux qui ne sont pas d'accord avec lui (et dont il caricature grossièrement le point de vue en pratiquant l'amalgame éhonté); soit la partialité prime - et Ogien a le droit, fort totalitaire, de prononcer tous les anathèmes du monde, au nom du droit arbitraire à excommunier du champ de la réflexion ceux qu'ils accusent de préjugés, sinon d'anathèmes.
6) "y'a tellement d'autres choses" : ce relativisme bien connu n'est pas seulement nauséabond. Outre le fait qu'à présent Ogien reconnaît implicitement que la pornographie est un méfait (pour la dignité des femmes), aveu qui ne manque pas de sel dans sa bouche, cette reconnaissance mérite d'être taxée de véritablement suspecte dans la mesure où :
- elle ne reconnaît le mal qu'à condition de le faire passer pour un bien (la pornographie n'est pas si mal puisqu'il y a aussi d'autres choses mal);
- elle dispense un catéchisme d'un moralisme effrayant (Bien/Mal), alors que notre logicien bafouillant prétendait sortir de la morale, l'antienne à la mode.
- elle rétablit l'omniprésence du vocabulaire de la chose chez le pornographe. Sous-entendu : le mal n'est pas si grave, puisqu'il s'applique à des choses...