jeudi 30 août 2007

Le Belge et le bête

S'il est vrai que la bêtise s'oppose à l'intelligence et s'allie au sérieux le plus incoulable, je me demande si ce n'est pas le rapport à la représentation qui conditionne la bêtise. Le mauvais humour, en tant que faux humour (vraie bêtise), rétablit l'ordre qu'il fait mine de dénoncer. Cet humour mérite d'être taxé de bêtise dans la mesure où il feint seulement d'instaurer la distanciation avec la représentation immédiate et simpliste de l'existence, quand l'humour permettrait justement la distanciation critique et le rétablissement de la complexité (grosso modo, rien n'est plus complexe d'expliquer le simple, puisque l'évidence est le néant). En somme, être bête, c'est prendre des vessies pour des lanternes dans la mesure où l'on croit que le réel coïncide avec l'apparence première (où l'on constate que l'extension abusive de l'ordre à l'ensemble du réel procède d'un vice de fond plus que de forme). Etre drôle, dans tous les sens du terme, c'est non seulement savoir que les vessies n'éclairent rien du tout, mais que les lanternes brillent du soleil noir de la mélancolie. Autrement dit : on rit de sentir que la majeure part du réel, si j'ose dire, ne ressortit pas de l'ordre, mais du néant (autre variante de la thèse bien connue de Bergson). L'humour, le vrai, signale la positivité paradoxale du néant. Pour preuve, cette citation extraite du sketch que Coluche consacre aux Belges et que je reproduis suite à la quatrième émission des Nouveaux chemins de la connaissance, de loin la meilleure, puisque Enthoven a eu la bonne idée de convoquer Brel en lieu et place d'un vrai triste sire, j'ai nommé Deleuze. Unique florilège (désolé) : "Si j'ai l'occasion, j'aimerais mieux mourir de mon vivant". Le propre du comique chez le Belge de service, c'est d'adhérer intimement à ses propos aberrants. Ces mêmes propos, tenus par un homme normalement constitué (intelligent et bête), tiendraient du second degré. La bêtise prend l'empire de l'ordre pour argent comptant, sans se rendre compte que cette créance abusive aboutit vite à des délires du style "mourir de son vivant". La bêtise serait-elle ce désir qui délire pour croire que l'objet du sens s'applique à l'ensemble du réel, que l'ordre est le réel? On remarquera au passage que la bêtise du Belge de Coluche s'applique à la mort, plus précisément au refus de la mort, refus parfaitement conséquent puisque le refus de la mort va de pair avec la généralisation du sens et la croyance en l'omniprésence et l'omnipotence de l'ordre. On notera que le rire est un sentiment et que le sentiment est plus habilité que la raison à décrire ce qui est réel la première représentation passée. Le propre du rire est de se manifester quand l'ordre vient à manquer et que le réel subsiste. Le rire signale le mystère du réel quand l'ordre signale la première couche du réel. Le rire se déclenche de façon irrépressible au contact d'une parole qui adhère à l'omnipotence de l'ordre. En même temps, le rire signale les limites du sens, puisque rire est étranger à la parole et s'explique de façon malaisée. Le rire est ce sentiment qui signale sans l'expliquer que le réel défie le sens, alors que la bêtise croit candidement que l'ordre est tout, que le néant n'existe pas et que la vie est la mort.

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