samedi 15 septembre 2007

Les chemins du plaisir 41

Pour expliquer les nombreux suicides et dépressions d'acteurs pornos, Ovidie a recours à une explication d'une grande sagesse :

" La difficulté, c'est quand on quitte le milieu de la pornographie. Et d'ailleurs, quand y'a des actrices qui vivent mal, qui font des dépressions, qui se suicident, ce sont pas des actrices qui le font au moment où elles sont en activité, ce sont des actrices qui le font plusieurs années après avoir arrêté...
Enthoven : - Et à quoi vous attribuez ça?
- Oh ben c'est très simple, hein! Moi, j'ai plusieurs exemples d'actrices qui ont essayé de se reconvertir autour de moi à l'heure actuelle, ben c'est-à-dire elles commencent un boulot, on trouve qu'elles sont compétentes dans leur domaine, et puis les semaines passent, pis y'a un petit malin qui va porter au patron une cassette, un lien Internet, une photo, et donc elles se font renvoyer... pour des motifs détournés, évidemment! Pour pas passer aux prudhommes, mais qui se font très clairement renvoyer à cause de ça..."


1) Avant de démontrer le ridicule consternant de ces propos, j'aimerais qu'on s'arrête sur ces destins brisés, ces vies fragiles et qu'on se souvienne de la légèreté avec laquelle Ovidie parle du suicide ou des maladies psychiatriques chez les acteurs pornographiques, histoire de ne pas reproduire les mêmes travers.
2) Ces propos sont consternants. En tant que lecteur de Dostoïevski, je suis blessé dans ma chair de considérer ce manque de respect pour la vie et la souffrance.
3) Et où est passée la toxicomanie dans son sens large, l'addiction aux médicaments, anxiolytiques, psychotropes et consorts? Pourquoi, là encore, Enthoven ne donne pas à l'auditeur de chiffres officiels de rapports internationaux, de criminologues, largement accessibles, de spécialistes sur le monde de la pornographie, ses graves dérives criminelles, identitaires et financières? Les chiffres auraient évité certaines billevesées... Que d'indulgence coupable et de légèreté hédonisto-nihiliste!
4) Ovidie est juge et partie. Son témoignage n'a que peu de valeur. Il donne le sentiment d'une leçon (trop) récitée, émanant d'une bonne élève, venue témoigner en faveur de ses maîtres adorés. C'est en tout cas le sentiment que procurent le ton de la tirade et les stéréotypes éculés, que l'on trouve fréquemment dans la bouche des acteurs X. Inutile de préciser que les chiffres indiquent tous que la pratique de la pornographie génère des désordres importants et trop récurrents pour provenir de facteurs indépendants ou exogènes.
5) N'y aurait-il que des actrices dans le milieu de la pornographie ou les femmes seraient-elles seules touchées par les problèmes généralement invoqués? Décidément, Ovidie est percluse de préjugés et cherche tellement à éviter les accusations de misogynie à tout prix - y compris les contrefaçons les plus odieuses! Moi qui croyais que les mâles pouvaient aussi avoir mal! Que les acteurs gays pouvaient perdre leur gaieté et leur bonhommie!
6) Une nouvelle fois, après le précédent Bentley, l'expérience d'Ovidie est usée pour livrer un tableau d'un simplisme et d'un manichéisme accablants : grosso modo, les actrices endurent de graves persécutions dans le monde du travail, du fait de collègues jaloux et malveillants. Le Bien et le Mal. Point barre. Et c'est ce genre de propos ineptes qu'Enthoven considère comme un approfondissement de la connaissance du milieu de la pornographie pour l'auditeur de France-Culture? Et pourquoi pas inviter Doc Gynéco pour écouter sa version des faits, son expérience tous-terrains des actrices, tant qu'on y est?
7) L'expression la plus remarquable du passage est l'anodin et candide : "Oh ben c'est très simple, hein!", que lâche notre Cassandre internationale. Décidément, l'ordre, la simplicité et le moralisme font bon ménage, surtout lorsqu'ils sont additionnés à la sauce X du porno. Si c'est simple, alors...
8) Le moralisme va de pair avec le respect du conformisme social, soit du conservatisme le plus étriqué, tendance petite-bourgeoise ancrée dans le culte des valeurs du travail et du capital. Ce n'est pas vraiment la faute du patron. Tous les torts proviennent des collègues, qui sont mus par la jalousie et le ressentiment, d'autant que les hardeuses reconverties sont très compétentes. Toujours! La vie est belle! Sauf que les hardeuses souffrent beaucoup de leur gentillesse, qu'elles étaient habituées aux méthodes douces du monde de la pornographie, dans lequel le respect des droits élémentaires est strictement appliqué, et que, surtout, surtout, le monde du travail est infesté de gens très méchants. D'une manière générale, la société civile est très très méchante, très très bête. Très con, quoi...
9) Heureusement, Ovidie garde le morale et le sens de l'humour : "Quand y'a des actrices qui vivent mal, qui font des dépressions, qui se suicident, ce sont pas des actrices qui le font au moment où elles sont en activité." Dommage, sinon, les spectateurs/consommateurs auraient eu le privilège d'assister à un luxuriant et grandiose snuff movie. Tu parles d'un privilège, chère Nadège!
10) Selon Ovidie, on "arrête" les films X, dans le même langage qu'on décroche de l'EPO ou de la coke, en tout cas d'une forte emprise de nature pathologique. Quelle liberté, Jean-René!
Elémentaire, mon cher Voltaire!

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