dimanche 14 octobre 2007

Au diable ne plaise

On comprend que le nihiliste accorde une si grande valeur au plaisir. Car faire du plaisir le sens de son existence revient en fait à rapprocher de façon profonde le sens et les sens. Plus exactement : à énoncer que le sens s'obtient par l'action des sens. Le plaisir n'est-il pas le sens que l'on déduit des sens? Or les sens ne donnent sens que dans la mesure où ils induisent dans l'exercice de définition un supplément de réalité qui transcende la définition elle-même. Tout objet fini, et l'on dit bien objet de définition, et non sujet, contient le principe de sa transformation/perpétuation, en ce que ce principe est dépassé de toutes parts par l'élément de perpétuation. Les sens donnent sens dans la mesure où ils ne délimitent que temporairement, où ils ne savent que trop que la délimitation contient et implique son dépassement. Faire des sens le critère du jugement moral (j'ai du plaisir=c'est bien) n'exprime pas seulement la tartufferie du moralisme qui ne veut pas dire son nom; c'est aussi opérer la réduction ontologique par excellence, qui affirme sans ambages (ou toute honte bue) que le plaisir est la fin de l'activité et que l'activité n'est jamais que de servir le plaisir. Au nom d'Aristote, j'ose donc ce rappel insistant : le plaisir sanctionne tout rapport avec la différence/destruction, que celle-ci penche du côté de la perpétuation ou de l'anéantissement. Comment établir la distinction entre le plaisir qui perpétue et le plaisir qui, pair, paie/tue? C'est assez simple : le plaisir qui suit les sens et indique le sens est au service de la perpétuation (différence/destruction); le plaisir trahit les sens et le sens quand il se pose en essence de l'existence et en finalité du sens. On ne vit pas pour jouir, on jouit pour vivre. C'est la notable différence avec l'appétit gustatif et le principe de digestion - et c'est en quoi Molière avait si bien raison.

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