La confiance accordée à l'apparence première, à la surface, à l'impression spontanée est sidérante en matière de défense de la violence et de déni de la violence. Pour mesurer la liberté dont chaque individu dispose, il suffirait d'écouter ce qu'il a à déclarer pour connaître la vérité sur sa teneur en liberté. Cette conception qui se veut simple est simpliste, en ce qu'elle postule l'invraisemblable égalité de choix (ou de consentement) dont disposerait l'individu dans toutes les situations. Voulez-vous vous enquérir de la liberté d'une personne prostituée? Demandez-le lui. Sa réponse exprime l'irréfragable vérité. Celle qui jure leurs grand dieux qu'elles sont libres le sont effectivement. Quant à leurs supposés et paradoxaux défenseurs, ils sont au mieux des paternalistes. Je passe sur le ressentiment qu'on ne tardera pas à leur accoler comme épithète fidèle, en attendant de l'inscrire comme épitaphe à leur mort. "Ci-gît X., être dont le ressentiment n'avait d'égal que le moralisme. Que son corps pourrisse en paix." Il est curieux que personne ne relève l'incroyable mensonge qui préside à cette conception du simplisme et de la surface (polie). Pour donner l'impression que la mesure de la liberté est aisée à effectuer, on en vient à nier la possibilité du mensonge. Paradoxe de la conception : d'être mensongère dans la mesure où elle nie le mensonge. Croire sur parole est-il par exemple l'attitude d'un douanier consciencieux face à un voyageur? Bien entendu que non, sans quoi on imagine mal les trafiquants de drogues avouer leurs forfaits. Cette première contradiction, majeure, s'enrichit d'une seconde, qui confine bien entendu à la mauvaise foi. C'est que les défenseurs de la liberté de surface comme critère intangible d'évaluation de la liberté sont les premiers à réfuter cette méthode lorsqu'elles s'appliquent à des violences qu'ils jugent liberticides. Grosso modo, la violence sexuelle est déniée sous le prétexte de ce pseudo critère de sélection, alors que l'on recourt à la parole biaisée, à la parole crapuleuse, à la duplicité en matière de violences politiques ou religieuses. Deux poids, deux mesures : la personne prostituée ne saurait mentir; par contre, celui qui dénonce les violences dont elle serait (et je m'excuse du conditionnel) victime est automatiquement un menteur. Le tartuffe ne saurait se prévaloir de son apparence ou de sa surface. Sa parole est biaisée. Les mêmes qui reconnaissent la possibilité de la dissimulation la plus retorse, la plus sophistiquée chez l'homme dénient cette possibilité quand ils s'en trouvent arrangés. Autrement dit, à en croire ses zélateurs d'un genre particulier, la personne prostituée se trouverait dans la même situation que le misanthrope de Molière, d'autant plus intransigeant quant à l'expression de la vérité qu'il profère un redoutable mensonge existentiel. On remarquera que :
1) le vériste extrémiste est le misanthrope.
2) la personne prostituée se trouve taxée de misanthropie, ce qui n'est pas un mince paradoxe quand on sait que certaines voix parlent du rôle psycho-social des péripatéticiennes.
3) les vrais misanthropes sont bien plutôt ceux qui parlent au nom des personnes prostituées en leur prêtant le point de vue vériste et en déniant le droit de rappeler qu'une parole est d'autant plus biaisée (est nécessairement biaisée?) qu'elle est prise dans les rets de la violence.
Au final, l'ontologie que dispense le vériste est celle du simplisme absolu : au nom de la clarté diaphane, on fait mine de croire que la vérité coïncide avec la surface (l'apparence première). Ce littéralisme de mauvais aloi (qui rejoint comme par enchantement le littéralisme religieux dans son extrémisme) en dit long sur le ressentiment ontologique qui saisit les véristes, incapables d'accepter que le réel ne soit pas réductible à leurs sens (surtout quand leurs sens prétendent faire sens). Pis, le ressentiment vériste est un mensonge d'autant plus odieux que son efficacité concerne au premier chef les plus démunis. En ce sens, il fonctionne comme un piège diabolique, qui conforterait la vérité des vainqueurs et bifferait la réalité complexe et torturée des victimes. Torturer : cet acte insoutenable ne possède-t-il pas en propre de forcer toutes les apparences et de transmuter le plus invraisemblable mensonge en aveu de vérité exploité?
Le Comte y est!
jeudi 20 septembre 2007
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire