samedi 15 septembre 2007

Les chemins du plaisir 53

Ovidie prend acte : qu'on le veuille ou non, la pornographie procède de la nécessité, du fatum implacable, de la réalité la plus éclatante en ce que les idéalistes et les moralistes souhaiteraient sa suppression ontologique. Ovidie mélange deux réalités : l'existence de la pornographie, son importance; et la manière d'ordonner le réel, l'humain et la sexualité. Quant à l'existence de la pornographie, elle est indiscutable. Mais cette existence ne renvoie jamais qu'à la manière dont l'homme traite la sexualité selon les époques, les mentalités et les changements. Le moins qu'on puisse oser, c'est que la pornographie s'affirme, se développe et triomphe de manière plus ou moins insidieuse, plus ou moins métastasée dans une époque qui promeut la libération de la liberté, la démocratie du libéralisme de plus en plus ultra, l'individualisme de l'individu comme fin et fondement, la lutte contre la morale au nom de valeurs supérieures d'autant plus innommables, supérieures et abyssales qu'elles retrouvent en définitive la structure de la morale. La promotion de la pornographie ne surgit pas par hasard dans les démocraties néo-libérales et individualistes. Elle promeut la caricature de la morale contemporaine certes; mais cette caricature n'en contient pas moins le trait principal - le trait de la vérité. En deux mots, la pornographie peint la sexualité comme la réduction des sentiments humains à l'objet des sexes. C'est en ce sens que prétendre que le pornographie est malaisée à définir est une aberration : par définition, si je puis dire, la pornographie porte en son sein le projet insensé de définir, c'est-à-dire de définir, au sens d'ordonner au sens d'ordonner et de limiter. Et d'ordonner et limiter pas n'importe quel domaine circonscrit : la sexualité n'est jamais que le réel dans son ensemble, ambition démesurée et vertigineuse. La nécessité de la pornographie revient à magnifier un aspect de la nature humaine qui consiste, réflexe nihiliste et désespéré, à morceler le réel pour le définir : la sexualité est synecdoque, en tant que figure de la réduction ontologique, autrement dit encore la réduction du désir, comme métaphore de la vie, à un mécanisme simpliste de violence pure. Au lieu de mener à la complexité des sentiments, au dépassement du sens, à la transcendance métaphysique classique, la pornographie réduit tout à l'objet. Ce mécanisme extrêmement violent n'est jamais qu'un travers. Il n'est pas la sexualité. L'esprit de la pornographie consiste aussi à prendre acte de l'échec de la modernité pour penser avec profondeur et éviter les simplifications périlleuses et destructrices. Que je sache, cette place prééminente de la pornographie, cette mode de la pornographie signale justement la décadence de l'époque. Un tel nihilisme n'est certes pas original, mais cet agencement conforme aux attentes de l'ultralibéralisme n'est pas une nécessité. Je veux dire par là que c'est la mentalité de l'époque qui accouche de la mode de la pornographie. C'est le statut d'impasse de la sexualité comme désir vain et réduit qui assure la promotion de la pornographie. Que je sache, les autres époques marginalisaient la pornographie pour d'autres raisons que le simple manque de moyens techniques (l'image cinématographique comme représentation de l'Hyperréel). Si rien ne permet d'empêcher la violence ontologique, et par conséquent la violence du désir et la violence sexuelle, cette violence n'aboutit pas au morcèlement ontologique, tant s'en faut. L'affirmation ne porte pas sur la reconnaissance ou le refus borné de la violence. Dire oui à la violence, quel programme! La reconnaissance de la violence ouvre le champ à toutes les constructions, à toutes les nécessités. Force est de constater que la présente nécessité présente la violence sous son agencement le plus destructeur. Cet agencement, celui du morcèlement et de la réduction, ne représente nullement une fatalité; tant s'en faut, de même que sa conception totalitaire de la liberté comme droit de faire ce que bon vous semble - en tant qu'individu. La vraie question : qu'est-ce que produire à partir de la formidable somme d'énergie contenue dans la violence? consiste à amorcer la réconciliation de l'homme avec le réel. Choisir une voie radicalement différente de celle présente qui mène l'homme à la ruine. Le nihilisme contemporain présente l'anéantissement comme une fatalité, et quitte à ce qu'il soit individuel, autant qu'il englobe l'espèce entière. Si la violence est une formidable fatalité, la pornographie n'est pas la conséquence fatale de la violence et du désir humains.

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