mardi 4 septembre 2007
Fenêtre sur le monde
Je crois que l'attitude la plus aux antipodes de la bêtise réside dans la curiosité. La bêtise signale le refus de (creuser) l'évidence, la prise en compte du réel dans sa dimension la plus immédiate et la moins complexe. Prendre les choses au pied de la lettre : la bêtise refuse de chercher, de fureter, de s'interroger. Evidemment, le bête qui se piquera de curiosité fera le curieux à son goût, quoiqu'il n'ait conservé de la curiosité que sa face immergée et que sa curiosité soit bête. Le propre de la bêtise est de se rapproprier tous les champs de l'activité humaine, à commencer par le savoir, puisqu'il garantit de la certitude et procède du mime rassurant. En fait, tout comportement recoupe aussi bien le domaine de la bêtise que celui de l'intelligence. Même l'humour qui, par définition, ne saurait être bête, émane aussi bien d'esprits vulgaires et stupides. Il suffit pour le vérifier de suivre quelques spectacles de ces humoristes professionnels, qui représentent, souvent à leur insu, les meilleurs agents de l'ordre policé et de ses techniques de propagande. Pourtant, la critique de la bêtise occulte la positivité invisible de la bêtise. Fuir la bêtise pour l'homme revient encore à s'extraire du réel. Le rêve d'échapper à la bêtise correspond, grosso modo, aux aspirations de Surhomme et autres billevesées prétendant sortir l'homme de sa condition, autant dire de son ornière ontologique de sous-être. Il est vrai qu'aux yeux du complexé arrogant, la bêtise renvoie à une sous-catégorie, la pure négativité ou l'expression insondable du néant. Heureusement que la bêtise est aussi le fidèle associé de l'ordre qu'elle trahit. Sans cette trahison, l'exercice de l'existence serait impossible pour l'homme, si bien que l'on ne sait pas bien qui de l'intelligent lucide inapte à la vie ou de l'imbécile heureux (à ce qu'on dit) est le plus bête.
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