Les nouveaux chemins recèlent peut-être une connaissance dévoyée. Seule l'émission du jeudi 30 août 2007 consacrée aux Trajectoires de la bêtise mériterait d'être retenue, sans doute parce que Christian Godin, en commettant son Petit lexique de la bêtise actuelle : exégèse des lieux communs d'aujourd'hui, avait vraiment quelque chose à dire sur la bêtise, quelque chose qui se démarque de l'érudition. Manifestement, ce n'était pas le cas pour David Rabouin, appelé à la barre des commentateurs pour expliquer son petit Deleuze illustré, la conception que le penseur le plus intelligent de France, le penseur que le monde entier nous envie depuis qu'il est mort, nourrit sur la bêtise. Deleuze est tellement intelligible qu'il complique à souhait sans dégager rien de probant dans ses envolées transcendantales pour rompre avec Kant. Et Michèle Clément? Ce professeur de Littérature à Lyon II a dirigé une journée d’études sur la Bêtise à l’Université de Lyon et prépare un livre sur ce sujet. Bigre! Les majuscules tous les trois mots auraient dû m'avertir que l'emphase remplacerait l'intelligence, comme c'est souvent le cas lorsque les érudits efficaces s'avisent d'instituer leur coup de force, la substitution de la pensée par l'érudition. Clément est très érudite. Le problème? Elle sortira un énième livre inutile sur la bêtise, alors qu'elle aurait pu pendant ce temps mettre son temps à profit pour relire Flaubert, Proust, mais aussi Rabelais. Est-ce parce qu'elle est (très) intelligente qu'elle n'est pas parvenue à déchiffrer la bêtise, au point de remplacer tout effort d'hypothèses par des platitudes convenues? Voire. Clément nous livre sa conception de la bêtise : elle serait "le fonctionnement normal du cerveau". Bête, "on accèderait vraiment au réel". "Le réel est idiot, et à être bête on est en prise directe avec ce réel idiot". Et Clément de citer Rosset. Enthoven, qui ne pense pas, mais commente avec précision, intervient : "Chez Clément Rosset, (...) la bêtise complique le réel, elle met des paravents entre l'individu et le réel. L'idiotie est pleine adhésion à la réalité...". Clément ne se démonte pas : accéder au réel brut serait le privilège de la bêtise. Clément, qui est bardée de diplômes, tient-elle son explication au fait que les oies si savantes ne parviennent décidément pas à penser? Sa tentative de réhabiliter la bêtise est affligeante. Peut-être se veut-elle quelque peu démocratique : alors que l'intelligent manquerait le réel du fait de son intelligence, le bête se consolerait en constatant que son handicap lui garantit au moins le droit d'accès tant convoité... Maigre consolation! Malheureusement, Clément se trompe lourdement. Elle chute avec intelligence, et c'est pourquoi elle parle autant - pour ne rien dire. Clément gît dans la nasse, dont elle ne se sortira pas sans l'assistance de la grâce (à ne pas confondre avec la scolastique sorbonnarde). Elle est trop intelligente pour comprendre que sa bêtise revient à prendre le réel pour de l'ordre. Mettons-en un peu chez notre spécialiste de service : si la bêtise coïncidait avec le réel, l'abruti serait le sage, ce dont nulle âme n'a encore jamais témoigné. Par contre, l'intelligence manifeste tient souvent des propos empreints de bêtise, nourris de références savantes, de distinctions branlantes et de ruines fumantes... Michèle, pardonne ma virulence idiote et ma vague insolence. Je suis un sot lent dont la besogne est de démasquer l'intelligence. Et tandis que tu te fais fort de divorcer Bêtise et Intelligence au nom de la profondeur surfaite, je me vois contraint, par la force des choses, de réconcilier réel et néant au nom de mon esprit en quête. Michèle, un conseil d'ami, puisqu'il blesse (un tant soit peu) : quoi que tu entreprennes, tu te meus dans le réel, puisque l'illusion et l'erreur ont elles aussi le privilège de l'existence.
Comme j'en ai maintenant l'habitude, j'ai envoyé cette note à Michèle Clément. Et la suite.
Madame,
Vous ayant écouté avec attention sur France Culture, le vendredi 31 août 2007, je vous adresse cette note issue de mon blog, en espérant que mon ton quelque peu polémique et mes emportements de sot pénitent ne déboucheront pas sur les insultes coutumières que trop souvent les contestés réservent à ceux qui ont le malheur de ne pas verser dans le compliment.
Bien à vous.
Mettons que je sois bête, creuse, pompeuse et inutilement bavarde. Et vous venez cherchez mon avis, ma clémence ?
Michèle Clément.
Seul regret : que l'on mêle Omar Khayyam à cela.
Madame,
S'il y a bien une qualité que je ne remets pas en cause chez vous, soit dit sans ironie aucune, c'est votre intelligence. Par ailleurs, je n'attaque nullement votre personne, ni vos qualités (dont j'ignore tout), pas plus que je ne brocarde vos défauts (nous en avons tous, moi le premier). Maintenant, considérez ce paradoxe. Vous, commentatrice émérite (ce n'est pas de l'ironie, je nourris beaucoup de respect pour les commentateurs), êtes invitée à une émission de radio prestigieuse pour entretenir l'auditeur sur la bêtise. Quel est votre statut? Etes-vous venue pour nous entretenir des conceptions de quelques écrivains sur le sujet? Je suis certain que votre intervention aurait été passionnante... Point du tout! Vous figurez en tant que penseur (je n'ose penseuse). Ce n'est certainement pas une honte de ne pas être penseur, mais vous n'êtes pas penseur, vous êtes (excellente) commentatrice! C'est le grand subterfuge de l'époque de présenter le commentateur comme un penseur, si bien que dans ce tour de passe-passe, le commentateur le plus émérite ne peut que participer à la supercherie. Il usurpe ses titres et son prestige pour porter la mauvaise nouvelle : de piètres pensées sont présentés comme des joyaux rutilants. Je sais bien que mon discours est polémique et suscite le risque de la surenchère, mais considérez qu'une once de polémique dans ce monde de consensus mou et de flatteries démocratiques ne correspond nullement à l'insulte ou à la calomnie. Croyez bien que prétendre ce que je prétends n'induit nullement que j'attaque votre personne, que j'insinue que vous êtes toujours "bête, creuse, pompeuse et inutilement bavarde". Je suis plus brave que je ne bave. Concernant cette émission, par contre, certains doutes en révèlent beaucoup d'autres sur les dérives alarmantes de l'époque. Vous me permettrez de terminer sur Khayyam, qui ne m'appartient certainement pas plus que vous n'en êtes le porte-parole. Après tout, Khayyam s'attaqua aussi à des commentateurs, de la parole divine ceux-là, avec des risques ô combien plus considérables que ceux que j'encours (j'espère!), mais en alertant sur les dangers que recèle le commentateur lorsqu'il sort de sa fonction initiale, travers qui, malheureusement, est constitutif de sa démarche, j'en ai bien peur. Car le penseur ne sait pas; le commentateur, lui...
"Si tu veux m'écouter, je te donne ce conseil :
Pour l'amour de Dieu, ne te revêts pas
de la robe d'hypocrisie.
La vie future c'est le toujours, ce monde
n'est qu'un instant;
Ne vends pas le royaume de l'éternité
pour une seconde."
Je vous souhaite de tout cœur beaucoup de bonheur, tant intellectuel qu'affectif (le plus important).
samedi 1 septembre 2007
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