mercredi 12 septembre 2007

Les chemins du plaisir 13

En matière de toxicomanie ou de politique, nous l'avons vu, le totalitarisme ne fonctionne pas, au sens où il n'est pas accepté parce qu'il est démystifié. L'homme mesure trop les dangers historiques pour ne pas contrecarrer ses opérations de séduction. En matière de sexualité, c'est une autre affaire, une autre paire de manches. Les notions de plaisir et de consentement sont si malaisément définissables qu'au nom de la subjectivité et de la différence (dévoyées), on peut en appeler aux aberrations les plus arbitraires. X. éprouve du plaisir à être prostituée? Voyez! J'ai également sous le bras Y., qui réclame à corps et à cri le droit d'être esclave! Puisque je vous dis qu'il y consent! Z., lui, milite pour la légalisation de toutes les drogues. Et pour cause de sa philanthropie : il consomme quotidiennement du crack, déclare qu'il en est heureux et qu'il est libre de faire comme bon lui semble. On trouvera toujours des gens pour expliquer qu'ils sont heureux de se prostituer, heureux de se droguer, heureux de souffrir, heureux d'être dominés... La question n'est pas de savoir s'il faut ou non entériner leurs discours, mais comment s'en prémunir de manière efficace (puisque leurs discours mène à l'anéantissement). Le fonctionnement du totalitarisme est simple. En régime totalitaire, il consiste à s'arroger la majeure partie des pouvoirs et à expliquer que le droit du plus fort est nécessaire à l'équilibre de la société au nom de la violence. En régime démocratique, le totalitarisme détient deux possibilités : soit s'opposer à la démocratie frontalement - c'est le totalitarisme explicite; soit infiltrer la démocratie en pariant sur son imperfection constitutive. Le plus sûr moyen d'infiltrer la démocratie consiste encore à dresser le siège du domaine le plus trouble de l'humaine nature, j'ai nommé la sexualité. Les rapports de la violence et du sexe sont si complexes, quasi indéchiffrables, que le totalitaire sait d'instinct là où trouver le cheval de Troie. S'il veut intégrer sa violence à la démocratie, il peut commencer par investir la place-forte du sexe sans trop de danger. C'est le plus solide moyen de légitimer la violence aveugle, la domination, la souffrance sans trop qu'on vous pose de questions, ni qu'on y regarde de trop près. Et pour cause : la démocratie accepterait plutôt de considérer la violence, sa violence, dans tous les domaines - à l'exception de la sexualité. C'est le mystère et l'intérêt de la sexualité que de posséder son talon d'Achille dans la sexualité. Sans doute la démocratie n'est-elle pas capable d'affronter la violence sexuelle. C'est pas moi, m'sieur l'agent, c'est l'autre!, celui qui vient de partir! Ne parvenant pas à juguler la violence, elle a tendance à l'occulter et à ouvrir des failles béantes. Le totalitarisme a tôt fait de s'infiltrer dans ces faiblesses récurrentes et de se ménager des espaces d'impunité d'autant mieux tolérés que les démocrates et la foule sont trop heureux de s'en sortir à si bon compte. Contre quelques victimes jetés en pâture, le sacrifice des plus faibles, la résurgence du bouc émissaire, la démocratie espère que l'ogre totalitaire rongera son os, sans se rendre compte que petit à petit, goutte à goutte, l'ogre ronge, ronge, ronge les institutions, qu'il progresse et qu'on ferme les yeux, qu'on refuse de voir, jusqu'au jour fatidique où, au nom de la liberté et des immortels principes, on se retrouve contraint d'admettre que jamais, au grand jamais, la liberté et la démocratie n'ont eu le mauvais goût, le goût rance de ressembler à ce point - au totalitarisme.

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