Selon Marzano, l'écoute de l'extrait "permet de comprendre tout de suite le statut que [Sade] attribue aux êtres humains. C'est-à-dire chez Sade finalement, l'autre est toujours un objet de jouissance. D'ailleurs, y'a justement un texte très connu de Lacan où il essaie de montrer comment chez Sade y'a une sorte de renversement de l'impératif catégorique de Kant, dans le sens où y'a une sorte d'obligation à traiter toujours l'autre en tant qu'instrument de son propre plaisir...
Enthoven : - C'est le personnage de *** [?] dans Les Infortunes de la vertu hein, qui dit : "Mon plaisir me concerne, la douleur d'autrui ne me concerne pas, je peux le faire souffrir si ça me fait jouir...
Marzano : - Voilà! Absolument...
Enthoven : - C'est un raisonnement parfaitement rigoureux, d'ailleurs."
Marzano peut aisément contredire Enthoven. Sade n'est pas rigoureux. Ou alors comme Matzneff. C'est dire. Sade n'est rigoureux que si on suit les prémisses de sa pensée. Mais ces prémisses, qui énoncent la négation de l'altérité, aboutissent bizarrement à l'extermination de l'homme et du réel (comme le totalitarisme politique, tiens, tiens; mais aussi comme l'ultralibéralisme). Autrement dit, la morale de Sade place comme vertu (ou bien suprême) une fin qui, non seulement est un moyen (première incohérence), mais surtout qui n'est jamais que l'application de la morale des pervers. A la lettre, cette morale anéantirait la race humaine en quelques années. Enthoven a tort d'insinuer la rigueur de cette conception. Cette dernière est au contraire simpliste et farfelue. Il reste à se demander pourquoi tant d'Enthoven éprouvent le besoin d'énoncer de telles billevesées. Je sais bien que le nihilisme consiste à revendiquer la solitude affective et aboutit à l'individualisme forcené. Ce n'est pas une mince contradiction de considérer que le refus de l'altérité n'est pas refus de la morale ou du moralisme, mais déni pur et simple du réel. L'individu n'accepte pas le morcèlement du réel en une infinité de formes singulières. Pour se venger de cet outrage à l'idéal et à l'unité (je n'ose ajouter : aux bonnes moeurs...), il institue sa propre personne comme seul objet de considération et de puissance. Le restant du réel est nié à l'état de réel. Ce serait mieux s'il n'existait pas. Ce serait mieux si la seule forme certaine de réel, le moi reconstitué contre les apparences, prétendait à l'absolu et à l'unité. Comme le moi n'est pas le tout, comme le moi n'est pas le réel, comme il doit partager la pièce avec d'infortunés voisins, le seul moyen de les tolérer revient encore à les considérer, contraint et forcé, mais comme des sous-formes, des souchiens qui seraient des sous-chiens (ainsi que dirait l'autre). Le refus de l'altérité s'explique par le besoin en somme de traiter sa propre personne comme seule fin et le réel restant comme moyen. L'altérité n'est reconnue qu'à condition qu'elle soit dévoyée et surtout dégradée. De ce point de vue, les conceptions découlant de la philosophie de Sade ne sont pas seulement incohérentes et résultat du désespoir le plus violent en l'idéal (idéal violemment déçu, c'est le cas de le dire). Elles sont d'obédience psychotique, en ce que le seul moyen pour le sujet de ressentir le réel extérieur consiste à assujettir ce réel à son plaisir et à sa violence. Le psychotique est incapable de reconnaître que le morcèlement du réel coïncide avec le fait paradoxal, inexplicable et profond que chaque forme singulière contient aussi l'absolu et l'infini.
jeudi 13 septembre 2007
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