vendredi 14 septembre 2007

Les chemins du plaisir 27

La principale jouissance qui accompagne la violence n'est nullement troublante, immorale, scandaleuse. Le plaisir provient seulement du fait que la violence limite et ordonne. L'individu en tant que singularité est par définition insaisissable. Sa richesse implique aussi son absence de définition, sa présence trouble et elle aussi scandaleuse. D'une certaine manière, c'est ce scandale ontologique qui pousse le pervers à recourir au système sadien. Puisque je ne parviens pas à définir le réel, puisque le réel tel qu'il se présente est trop complexe pour être décrit ou nommé, puisqu'il est rétif au sens, qu'il le dépasse et l'outrepasse tous côtés, eh bien, je défierai le donné, l'ordre des choses, ou Dieu chez Sade, et je me donnerai les moyens de réduire le réel à mon effort désespéré et étriqué de définition. Mesure-t-on la violence à l'oeuvre dans cette entreprise de réduction? La principale violence n'est sans doute pas seulement contenue dans le mensonge qui préside à ces destinées dévoyées. Pour prix de la définition, le réel est assujetti à l'impératif catégorique de l'objet, qui pourrait s'énoncer ainsi : "Agis de façon telle que tu traites l'humanité, jamais dans ta personne, toujours dans celle de l'autre, toujours en même temps comme moyen, et jamais simplement comme fin." Cet adage diffère notablement du célèbre impératif kantien en ce qu'une disjonction essentielle est esquissée entre sa propre personne et les autres personnes (voire les autres formes du réel). La grande force de l'impératif kantien consiste justement à établir la réciprocité entre le moi et l'autre comme condition essentielle de l'altérité, quand l'impératif d'inspiration sadienne est contradictoire dans les termes. Où l'on voit que renverser le sens n'est pas sans risque pour la rigueur et n'est pas l'envers identique à l'endroit. C'est d'ailleurs l'une des tromperies contenues dans la formule : renversement de toutes les valeurs. Comme si la vertu demeurait la vertu selon qu'on la définisse comme respect de l'altérité ou cruauté (dans un sens sadien). Quant aux critiques qu'endure le kantisme, j'ai bien crainte qu'elles révèlent, non pas les faiblesses du système kantien, mais leur cruelle infériorité de critiques. J'en veux pour preuve le nietzschéisme, qui est très loin d'atteindre à la cohérence et à la profondeur du kantisme, bien qu'aiguillon génial et stimulant. Quand je pense que le nietzschéisme annonce à grands cris le combat contre le ressentiment et la morale, alors qu'il est justement et fort ironiquement traversé de part en part par ledit ressentiment! L'erreur principale de Kant selon moi n'est pas tant de prétendre instituer la personne comme fin, soit prendre acte de l'inconséquence de la loi du plus fort, que de demeurer vague quant à la définition de cette fin. Sans doute, l'homme gagnera en clarté le jour où il sera en mesure d'intégrer le néant à la fin, tout en prenant soin de ne pas sombrer dans le piège du nihilisme, qui consiste à ramener le néant ontologique à la destruction morale.

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