dimanche 2 septembre 2007

Superficie

Swann ne peut se montrer lucide sans qu'un trait de paresse congénitale frappe son esprit et le détourne vers d'autres sujets moins préoccupants et plus frivoles. En est-il de même pour le mécanisme de la bêtise que pour l'illusion? La bêtise n'est pas paresse d'esprit, en tout cas pas dans son sens premier, sinon Bouvard et Pécuchet ne seraient pas des sots. On peut être bête et paresseux, mais on peut aussi se montrer bête et interventionniste. On peut être paresseux et intelligent (cas fréquent, car l'intelligent préfère le plus souvent ne rien faire que faire n'importe quoi), tout comme l'on peut se montrer interventionniste et intelligent. Pour finir, on peut être bête et intelligent. La plupart des hommes présentent d'ailleurs un équilibre frappant entre ceux deux pôles, équilibre rassurant, car plus un homme est dépourvu de bêtise dans certains domaines, plus elle reparaît avec usure dans d'autres. Fondamentalement, la bêtise résume, c'est le cas de le dire, l'approche superficielle du réel qui caractérise tout homme à partir du moment où il préfère ne pas approfondir sa représentation du réel et s'en tenir à la simplification (équivalence du réel et de l'apparence). Cette approche n'est paresseuse que dans la mesure où la bêtise prémunit l'homme de poser le problème du réel en fonction de l'ordre. La bêtise est moins paresse (refus d'agir) que déni de la complexité ontologique. Le paresseux ne veut rien faire. Le bête est prêt à des efforts herculéens et démesurés, pourvu que ces efforts soient au service de son déni constitutif. Raison pour laquelle les compulsifs Bouvard et Pécuchet ne se distinguent pas du crétin débitant les sornettes les plus incoulables. Le sot agité a en commun avec le sombre crétin, la triple buse, l'ectoplasme cher au capitaine Haddock le déni. J'ai les plus grandes difficultés à décider si en définitive la bêtise ressortit de la paresse et de l'illusion. Je serais tenté d'approuver quant à l'illusion. Il me semble que l'illusion comme fausse représentation est le moteur principal de notre esprit et explique bien des travers. A ce sujet, la bêtise est peut-être la caution nécessaire de l'illusion, sans laquelle la vie serait, sinon une erreur, du moins une impossibilité. Je veux dire : lé déni de bêtise est peut-être nécessaire à la pérennité de la race humaine. Il est vrai que lorsqu'on s'avise des effets des idéologies du salut si intelligentes, l'on se dit qu'un peu de bêtise aurait été profitable aux disciples dévoyés de Marx (un peu) ou de Nieztsche (beaucoup)... Quoi qu'il en soit, la parenté de la bêtise et de la paresse est évidente. Comme les bêtes sont souvent intelligents, les paresseux se révèlent souvent fort actifs à l'usure...

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