Lors de la parution de Ma reddition, de Toni Bentley, le quotidien Libération lui consacre ce compte-rendu. Qu'on en juge.
Portrait
Toni Bentley, 48 ans, écrivaine. Elle fait l'apologie de la sodomie comme «absolu abandon» et comme moyen de rééquilibrer le rapport de force hommes-femmes.
Le saint siège
Bêtes de sexe 2/5 Plaisir de la semaine : le sexe
Par Judith Perrignon.
Mardi 22 août 2006 - 06:00.
"Une heure après qu'il est parti, elle prenait des notes. Elle a finalement écrit un livre qu'elle a conseillé à ses parents de ne pas lire. Il, c'est A-Man, un homme un vrai, ça veut dire. Il téléphonait une heure avant d'arriver. Elle achevait sa toilette intensive, préparait la pommade. Ils allaient dans la chambre, pièce du rituel. Elle offrait son cul. Il s'en allait. Une heure après, elle écrivait. «Ma reddition», dit-elle.
La petite histoire qui va suivre ne peut venir que d'Amérique, là où la Bible a valeur constitutionnelle, là où la sodomie mérite encore quelques lignes d'interdit, au gré des Etats. Elle est racontée par une femme de passage venue rendre visite à sa mère. Elle a choisi le bar de l'hôtel Negresco à Nice, le long de la Promenade des Anglais. Il y a une petite valse surannée en bruit de fond. Elle a revêtu son corps d'ancienne danseuse d'une robe bustier noire et longue assortie à un chapeau mou. Toni Bentley écrit : «Le mépris de la mort, voilà le sentiment qu'il engendre en m'enculant.» Et compte : 298 fois en deux ans.
La petite Toni a 6 ans lorsqu'un jour, n'y tenant plus, elle pose la question à la maison. «Est-ce que Dieu existe ?» Papa est scientifique, très intelligent, il enseigne et publie des livres. La mère a son diplôme d'avocate mais reste au foyer. La réponse fuse : «Non.» Une petite phrase paternelle vient, tout de suite après, étayer la démonstration : «Il y a des gens qui en ont besoin, pas nous.» Le problème, c'est qu'en Caroline du Nord, où grandit la petite fille, «des gens», c'est tout le monde. Tous les copains de l'école vont à l'église plutôt deux fois qu'une. Elle est à cet âge qui se nourrit de croyances et de ressemblances. Et papa vient lui expliquer qu'il faut faire avec la vie telle qu'elle est, laquelle d'ailleurs est remplie d'abrutis. Une part d'elle sera donc athée elle ne fréquente pas les églises , une autre ne se résignera pas, s'en allant chercher des au-delà, s'offrir des rituels et froisser papa.
Elle danse, depuis l'âge de 4 ans. Danser, c'est apprendre à voler, c'est comprimer ses orteils dans de ravissants chaussons roses, supplicier son corps, chaque jour, pour défier les lois de la beauté et de la gravité. Elle est douée, école de danse plutôt qu'études classiques, un monde à part. «Tous les danseurs croient à quelque chose sous une forme ou sous une autre. En dansant, vous essayez d'atteindre la perfection, vous pouvez tout contrôler du mental au physique, ça peut devenir très agréable, une addiction, même.» Elle rentre au New York City Ballet, la troupe de George Balanchine. «Balanchine, russe orthodoxe, était très croyant, nous le savions, et il était notre Dieu. Danser est un rituel, une cérémonie, une répétition à l'infini, c'est une sorte de prière.» Ses joues creuses, son bustier sans poitrine, ses os saillants aux épaules portent le modelage de ces années-là. Autre souvenir : c'est dans les bras d'une star du ballet, beau et grand danseur, qu'elle fait l'amour pour la première fois, comme beaucoup d'autres jeunes et vierges ballerines. «Evidemment, je suis tombée amoureuse, comme on tombe amoureuse à 19 ans.» Commence en dansant l'association des mots. Souffrance et beauté. Amour et chagrin. Ces carcans féminins ne déserteront jamais son histoire, aussi subversive soit la suite.
A 23 ans, elle se marie. Il est fils de pasteur. Dieu n'est plus très loin. «Il était parfait, beau, intelligent, mais il buvait beaucoup.» Elle le quitte au bout de dix ans, ils n'ont pas eu d'enfant. «Ça ne m'intéresse pas plus que ça. C'est trop lourd, trop prenant, on y perd son identité.» La désillusion s'accompagne souvent de mots tranchants. C'est pourtant au rayon des rêves de petites filles en tutu le mercredi après-midi (éditions l'Ecole des loisirs) qu'atterrira en France son premier livre, Journal d'une danseuse. C'est une méchante blessure qui arrêtera son élan de danseuse. Elle dit vivre de ses livres.
Elle dit aussi : «Je ne me fie pas à l'amour. J'ai entendu trop de déclarations. Mais je me fie entièrement à la volupté.» Le sacre du mariage brisé, elle cherche, zappe, essaie le voisin costaud, l'homme à la Harley, le club de gym, l'amour à trois, l'amour entre femmes («L'identité en prend un coup : elle est moi, je suis elle, son plaisir est le mien, mon plaisir est le sien»). Conclusion : «Je ne pense pas que les hommes soient naturellement de bons amants pour les femmes. Je les préfère malgré tout, mais je conseille aux femmes toutes les expériences.» Une part d'elle revendique une émancipation toute féministe. A 13 ans, elle collectionnait les biographies des grandes dames, Colette, George Sand, Virginia Woolf ; elle a ensuite lu ses classiques, Henry Miller, Anaïs Nin, Marguerite Duras, Freud, Henry James. Elle se plaît à vivre seule, persuadée qu'en couple il faut mieux laver ses chaussettes chacun de son côté et se retrouver pour dîner... Quand enfin arrive A-Man, qui de son sabre au coeur de ses entrailles brisera, croit-elle, les deux grandes peurs universelles : l'amour et la mort.
Toiser la mort, c'est toiser la vie et ses douleurs, fuir les passages obligés, la voie classique, chemin vers la maternité, et laisser à l'amant le plaisir d'aller là où il ne faut pas être, la tête enfouie dans l'oreiller... Dans sa romance rectale, elle appelle son cul «mon tutu», comme si chaque fois elle entrait en scène. Il y a quinze ans, elle ne dansait plus, posait nue, expliquant que la scène manquait à tout son être. Elle se veut toujours plus forte que les événements. Elle est assez habile, petite esclave de la danse puis du sexe, à contorsionner corps et idées. Elle n'est pas la première à proclamer qu'épuisée par ses innombrables conquêtes la femme libre conserve le choix de la soumission. «L'enculade rétablit l'équilibre entre une femme qui a trop de pouvoir et un homme qui en a trop peu», dit-elle. On se souvient que le Vagin réclama du soin et de l'attention, via des Monologues mondialement et théâtralement relayés. Le voilà proclamé trop «politiquement correct» par une ex-danseuse, qui se dit pas fâchée de contrarier papa et maman en relâchant son sphincter.
Toiser l'amour, en revanche, c'est impossible. Elle a cru pouvoir le dompter, ignorer l'angoisse qui l'escorte, être à la fois libre et soumise, en vivant sans règles ni promesse de fidélité ou d'avenir. «On peut avoir beaucoup d'amour en deux heures.» Mais deux heures, plus deux heures, plus deux heures, sur deux ans... Elle se fichait qu'il y ait d'autres femmes, elle se pensait l'élue du rituel, elle était en fait prise au piège du vieux rêve féminin : être l'unique fantasme d'un homme. Elle a mis fin à l'histoire le jour où elle a compris qu'elle aimait A-Man. Alors elle a pleuré. Aujourd'hui, elle évoque vaguement un autre homme qui passe dans sa vie, histoire plus classique. «Vous pratiquez toujours ? Ñ C'est ma vie privée !»
Il y a, dans son livre, mille détails crus et pratiques autour de son orifice vers le paradis, mais il y a aussi celui-là, chiffonné parmi les draps. Quand A-Man ne venait pas, elle dormait avec une chemise qu'il avait laissée là, chez elle, pleine de son odeur."
Toni Bentley en 6 dates Janvier 1958 Naissance en Australie. 1968 Rentre à la School of American Ballet. 1976 Rejoint le New York City Ballet de George Balanchine. 1983 Journal d'une danseuse (l'Ecole des loisirs). 2002 : Soeurs de Salomé. 20O6 : Ma Reddition (Maren Sell éditeurs).
mardi 11 septembre 2007
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