mercredi 12 septembre 2007

Les chemins de plaisir 16

Juste après l'intervention de Breillat, un passage de La Bête qui meurt est lu par Anne Brisset. J'y adjoins deux phrases, qui, comme le Narrateur l'indique, sont importantes :

"Encore un détail, encore un et j'arrête. J'entre un peu dans des considérations anatomiques, mais c'est important. Il s'agit de la touche finale qui faisait d'elle un chef-d'oeuvre de volupté. Consuela est une de ces rares femmes que je connaisse qui jouisse en extériorisant sa vulve, en l'extériorisant involontairement, comme un bivalve qui fait des bulles avec sa chair douce et lisse. Ca m'a pris par surprise la première fois. Quand tu le sens, ça te fait penser à la faune sous-marine, à un fruit de mer, apparenté à l'huître ou à la pieuvre, au calamar, à une créature du fond des océans, et du fond des âges. En général, on voit le vagin, on peut en écarter l'orifice avec les doigts, mais chez elle, il s'ouvrait comme une fleur, le con sortait tout seul de sa cachette. Les petites lèvres s'ourlaient, se renflaient, et c'était très bandant, ce renflement de soie visqueuse, excitant à toucher, excitant à voir. Le secret livré aux regards dans l'extase. Schiele aurait donné la prunelle de ses yeux pour le peindre, Picasso en aurait fait une guitare."

Enthoven : - Ce texte magnifique où (...) le professeur décrit le sexe de sa maîtresse, la jeune Consuela, est un texte objectivement pornographique, où la chair, alors contrairement à ce que dit Catherine Breillat, est totalement vivante! D'ailleurs, elle est si vivante qu'elle vit, elle s'ouvre sous son regard... Qu'est-ce qu'on répond à un texte de cette nature? Est-ce qu'on est dans la pornographie avec ça?"

Marzano aura beau jeu d'expliquer, avec justesse, que Breillat, quoi qu'elle en dise, fait de la pornographie, alors que Roth est dans l'évocation artistique et littéraire. Il est atterrant de constater qu'un brillant commentateur comme Enthoven méconnaisse à ce point la pornographie qu'il n'établisse pas la différence pourtant nette entre les confessions de Bentley et le récit de Ph. Roth. Qu'est-ce que la pornographie? L'étymologie est éclatante et vaut mieux qu'un long discours. C'est la peinture de la prostituée. C'est prendre le corps pour un objet, un moyen, pour de la chair morte. A l'évidence, on ne trouve aucune contradiction entre cette approche classique de la pornographie et l'extrait de Roth. Effectivement, Roth décrit le sexe de la jeune Consuela de manière littéraire, donc de manière vivante, c'est-à-dire qu'il opère des images, des métaphores et des comparaisons. Clément Rosset l'explique dans le Démon de la tautologie : "Comme son nom l'indique, la métaphore est un écart, un méta-phorein, c'est-à-dire un "porter ailleurs" qui consiste essentiellement à nommer une chose par une autre. (...) Pourquoi la métaphore, qui désigne une chose par une autre, a-t-elle le pouvoir, lorsqu'elle est - à la différence des cas mentionnés plus haut - heureusement trouvée, de mieux indiquer cette chose même que si elle l'indiquait directement? Parce qu'elle produit alors ce que j'appelle un "effet de réel", que je vais préciser, par la nouveauté de la façon dont elle le désigne. (...) En sorte que la métaphore, si elle ne consiste pas stricto sensu à recréer le réel, en impose du moins une redécouverte par la re-création des moyens qui l'expriment habituellement. Elle ne fait pas surgir un monde neuf, mais un monde remis à neuf." La pornographie ne consiste pas à décrire un sexe féminin, mais à décrire le sexe féminin comme un objet, une chose délimitable et délimitée, découpée du reste du corps et, surtout de la personne humaine. L'évocation littéraire est vivante en ce qu'elle offre un regard original et qu'elle relie le sexe de Consuela à un série d'images qui ont pour effet de le relier au réel et aux sentiments. Rien à redire, Roth fait de la littérature et absolument pas de la pornographie. Si Enthoven se trompe, c'est sans doute qu'il exprime à son corps défendant le préjugé commun selon lequel parler de sexe est nécessairement obscène, vulgaire et pornographique, alors que le vrai problème est de réussir à parler de sexe en y instillant du sens (et de la vie). Raison pour laquelle, question que se pose Rosset dans Franchise postale, la grande littérature n'est pas pornographique : c'est que mettre du sens s'opère à partir du sexe. Quant à l'exercice auquel se livre Roth, il est nécessairement limité, car dire le sexe est en soi fort limité. Retourner au sexe pour dire le sens, dans un sens inverse, risque fort de se révéler rétrograde, comme dans le cas des films pornographiques. Dernière petite précision : j'en ai assez que dans la bouche d'Enthoven, comme dans celle d'un Comte-Sponville, tout soit génial ou magnifique. Je tiens à préciser que La Bête qui meurt est un très bon roman, pas un chef-d'oeuvre.

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