"C'est le fondement et l'ABC de toute notre morale."
Les Provinciales, Blaise Pascal.
Les nihilistes ont tôt fait de se réclamer de Nieztsche pour condamner la morale au nom de son assimilation hâtive au moralisme. La morale serait morte. Elle serait le siège et le masque des sentiments inavouables, de l'hypocrisie, à tel point qu'il serait urgent de transmuter toutes les valeurs et d'établir l'immoraliste comme le remède au moraliste. Sur la critique de la morale, je remarquerai que sa naïveté demeure déconcertante. Quelles que soient les critiques qu'on adresse, on a besoin de normes, sans quoi l'un louera Hitler quand l'autre s'inclinera devant mère Teresa avec indifférence. L'excision sera une pratique tout aussi respectable que l'abolition de la peine de mort. Tel n'est pas le cas, parce que, n'en déplaise aux nihilistes, ce n'est pas la norme que la modernité a engloutie, c'est le fondement. Quelles que soient les lois dont l'humanité se dotent, il faut bien une justification. Derrière toute loi s'abrite une morale, qui est aussi bien une pensée, c'est-à-dire un fondement. L'excuse frivole selon laquelle le criminel de haut vol impuni s'en est tiré à bon compte ne légitime en rien l'immoralité, à moins de considérer que la damnation est chose vague et incertaine. Spinoza l'a pourtant bien énoncé, ce n'est pas dans une autre vie hypothétique que le châtiment se situerait : c'est dans cette vie-ci. Raison pour laquelle tant Hitler que Staline, Mitterrand que Poutine, Ben Laden que W. sont, sincèrement, à plaindre - d'ores et déjà. Raison pour laquelle le pédophile mérite d'être compris et non lapidé (ce qui n'implique nullement, loin s'en faut, qu'il faille le laisser agir au mépris de la loi). La simple distinction qu'omet le nihiliste, entre morale et moralisme, qu'il brouille à souhait pour mieux établir la destruction sous le sceau de la confusion, c'est que seule la tartufferie, soit le moralisme bien compris, mérite d'être déclarée pernicieuse et illusoire (ce qui ne signifie pas qu'elle n'existe pas). Le moralisme consiste à essentialiser les valeurs de bien et de mal, à décréter que l'humanité se conforme en matière de moeurs et de règles nécessaires à un modèle préexistant - le Bien et le Mal. Il est certain qu'entendus de la sorte, ni le Bien, ni le Mal n'existent. Quoique. Quand Aristote et d'autres rappellent que le bien est ce qui est bon pour l'homme et le mal ce qui lui est nuisible, il distingue le monde de l'homme du réel transcendant - les intérêts humains. Le réel n'est pas fait pour l'homme, contrairement à l'anthropomorphisme, omniprésent dans la culture. Cette relativité de la morale est certaine en ce que le bien est ce qui est bon pour l'homme - et peu importe à l'homme que ce qui lui est bon soit néfaste au cochon qu'on va égorger pour les besoins de la fête... Il est certain que, comme Pascal l'a noté, mais aussi Montaigne, la relativité des coutumes et des traditions varie en fonction de l'espace géographique et culturel. Pourtant, la condamnation universelle du crime, quelles que soient ses acceptions, suffit à indiquer une communauté de la morale, au même titre qu'une communauté des mythes (en particulier des origines) mérite d'être invoquée. C'est le signe que l'essentiel dans l'essentialisation de la morale est pertinent : si le Bien et le Mal n'existent pas en tant que figures du Bien et du Mal, la structure du réel telle qu'elle s'incarne dans les allées du monde de l'homme n'est pas si variée et hétéroclite qu'elle n'engendre des morales aux antipodes suivant les tropiques. "Plaisante justice, qu'une rivière borne! - Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà." Cette Pensée n'en est que plus juste si l'on ajoute que des deux côtés des Pyrénées, c'est bien une rivière qui est réputée couler. Le lit du réel est identique aux yeux des hommes, à tel point que le moralisme ne signale pas l'erreur de la morale; tout au plus, ses errances outrancières et déformations condamnables. Le moralisme est la caricature de la morale. Il en force le trait, mais les traits demeurent saisis et intégrés. La morale signale qu'un ordre existe dans le réel et que la rationalité est à même de le retranscrire à la sauce humaine au coeur du monde de l'homme. Prétendre supprimer la morale n'est pas seulement folie nihiliste. C'est entreprise impossible. La suppression de la morale comme une mauvaise farce aux relents nauséabonds n'est pas de ce monde. Tout au plus, sa relativité s'applique-t-elle aux différents mondes qui peuplent le réel et qui expliquent que le monde de l'homme ne soit que le monde qui concerne les préoccupations et la pérennité de l'homme.
lundi 27 août 2007
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