jeudi 23 août 2007

Ressenti

Jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien... Jusqu'à la chute? La formule du (mauvais) film La Haine est aussi celle de la modernité, en tant que programme synthétique de Nietzsche, si tant est qu'on s'avise que sa pensée fut celle d'un génial et grandiose destructeur dont les tentatives de construction aboutissaient (tragiquement) à leur involontaire destruction. Est-ce pour s'être rendu compte du terrible sortilège qui l'accablait que Nieztsche finit par perdre la raison - être né pour détruire sans jamais construire? En tout cas, les disciples de Nieztsche, comme la plupart des disciples, ont repris du maître ses travers, sans même s'aviser de ses qualités immenses et insondables. L'un des points cruciaux sur lequel se fixent ses modernes épigones est révélateur de ce fait. La lutte principale qu'entreprit Nieztsche tenait, par-delà la démystification de la morale, à la destruction du christianisme et de l'idole Jésus-Christ. Or, les commentateurs se fixent comme par enchantement sur tous les points de détail (et qu'on m'excuse cette expression malencontreuse) tournant autour du ressentiment pour mieux occulter que le ressentiment est une manière de (conce)voir très nietzschéenne (ainsi que l'a montré Girard), mais surtout que le ressentiment qu'ils dénoncent transpire de leur personnalité exsangue et décadente. Ainsi de Deleuze expliquant qu'il faut toujours défendre les forts contre les faibles (ce qui est vrai, mais Deleuze était un faible); ainsi de Sollers aujourd'hui, qui pontifie sur le ressentiment de la populace à l'encontre des grands hommes incompris et dénigrés (ce qui est vrai aussi, mais Sollers est un mouton de Panurge enragé). Si Sollers et consorts dénoncent d'autant plus, et avec légèreté détachée, et avec brio aérien, et avec désinvolture supérieure, le ressentiment, c'est que l'époque exhale le souffle empoisonné de ce ressentiment diffus. Pourquoi? Le ressentiment a pris la place de Dieu. La modernité a assassiné Dieu, Dieu n'est pas mort de sa belle mort. Au lieu de ce fondement tutélaire, l'homme moderne est ce Caïn gorgé de haine sourde et de rage rentrée, parce qu'il a tué son frère et qu'il ne peut assumer son homicide. La haine qu'on ne peut assumer et qu'on dénie, tel est le ressentiment. La haine d'avoir tué Dieu, puis de prétendre qu'il s'est volatilisé, qu'il est parti de son plein gré pour un grand voyage et qu'il ne reviendra plus : formule du ressentiment contemporain. Bien entendu, et comme de juste, l'assassinat de Dieu est un acte qui ne saurait s'assumer dans la sérénité et la délivrance. Il oppresse et il conduit à ce fameux déni qui fascine tant les nietzschéens et les modernes à la mode de l'époque obscure, hédoniste et nihiliste, que nous subissons et qui nous mène droit dans le mur. Ce déni, c'est le ressentiment, et cette fascination pour le ressentiment confine au plaisir masochiste (et indirectement sadique), qui consiste à observer sa destruction avec une satisfaction d'entomologiste pervers trop aise de substituer au credo cartésien un retentissant et prophétique : je souffre, donc je suis. Ce Qu'il Fallait Dénoncer.

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