jeudi 23 août 2007

Ôte-toi de mon soleil!

La récupération de Nietzsche par les intellectuels de l'après-guerre, en particulier français, tient à l'occultation. La frénésie hargneuse avec laquelle l'élite intellectuelle s'est empressée de célébrer le grand génie ermite et ignoré (plus que méprisé d'ailleurs) tient à l'entreprise de réhabilitation remarquable que poursuit l'époque. Le noeud gordien de cet empressement suspect tient à la folie de Nietzsche. Qu'on se le tienne pour dit, Nietzsche a fini fou, mais il n'a pas fini fou comme les commentateurs aimeraient nous le faire croire - d'une maladie incompréhensible et inexplicable qui l'aurait foudroyé et qui se trouverait sans rapport avec ses écrits, sa pensée et sa vie. Nietzsche est mort fou parce qu'il souffrait d'une terrible maladie, sans doute aux confins de la neurologie et de la psychiatrie, et qu'il n'a rien trouvé de mieux, soit de pathétique et d'authentiquement tragique, que de réagir en y opposant la célébration. En somme : plus je suis malade et plus les raisons de se réjouir abondent. La vie est merveilleuse puisque je souffre horriblement et que je bascule dans la folie irrémédiablement sans que j'y puisse rien changer. Pis : puisque je n'y puis rien (changer), alors le seul changement qui sera opérant sera le non-changement par excellence, la résignation qui consiste à se féliciter de l'horreur. Laisser croire que le réel est rose quand il est sombre conduit aussi à affirmer que la croyance est une illusion à l'instant précis où l'on instaure le mode opératoire de la croyance. Bref, Nietzsche fut aussi génial qu'inconséquent - et c'était un fort puissant et intuitif génie. Maintenant, qu'on examine la vie du plus fameux commentateur français de Nieztsche de l'après-guerre, j'ai nommé Deleuze. Deleuze était fou, raison pour laquelle l'époque et les étudiants l'adulaient, et sa fin tragique, son suicide d'une rare violence, pour sa personne comme pour celle des autres, n'est pas le fait du hasard ou le fruit de l'anodin. Deleuze ne pouvait que vouer aux nues un fou dont il partageait la folie, à défaut de partager la génialité. A défaut d'être génial, Deleuze se montrera d'ailleurs en proportion excentrique et bizarre. Et le succès de Deleuze, de son vivant principalement? Soyons lucides, un tantinet : pour que Nietzsche soit le héros de l'époque, autant que Deleuze fut le héraut de Nietzsche, il faut que l'époque soit elle-même dévastée par la folie déniée et reniée, la folie souterraine qui la fait foncer dans le mur au moment où elle s'ébroue et s'écrie avec le plus de vigueur que tout va bien - tout va pour le mieux.

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