mercredi 29 août 2007

A tes souhaits

J'entends d'ici les questions fleurir autour de la métaphore de l'unijambiste privé de sa prothèse : si Dieu est une prothèse, c'est qu'il s'applique à des esprits handicapés, dont la guérison passe par la suppression du handicap. Fort bien. Sur le principe, je suis d'accord. Sauf que la suppression du handicap sera effective le jour où la médecine sera en mesure de proposer à l'unijambiste le port d'une jambe artificielle de même usage que la jambe naturelle (selon des voies dont j'ignore presque tout, mais qui adviendront à n'en pas douter). D'un point de vue théologique, le concept de Dieu, qui n'a cessé d'évoluer comme les progrès de la médecine (ou de la technique), épouse les conceptions de son temps, selon une voie qui montre d'ailleurs que l'influence religieuse prime sur celle métaphysique et qu'il faudrait être bien élitiste et réducteur pour estimer que les religions s'adressent à la populace quand la philosophie s'adresse à l'élite intellectuelle en mesure de comprendre. Sur bien des aspects, la profondeur du christianisme passe de très loin les grandes métaphysiques de Leibniz, Kant ou Hegel. Revenons à nos moutons. Si le concept de Dieu est imparfait aux yeux de l'homme rati(cio)onaliste (et étriqué, car cette vision de l'imperfection procède d'un totalitarisme inquiétant de la raison humaine), c'est que le réel qu'il sous-tend est, de ce point de vue fort humain, imparfait. En d'autres termes, cette imperfection sans doute très anthropomorphique n'est pas imputable au fondement divin, ou à l'explication divine; c'est l'inverse qui est vrai : une connaissance pleine et satisfaisante du réel délivrerait (dans tous les sens du terme) l'homme des tâtonnements qui l'affligent dans son exercice de la connaissance. Je ne sais au juste quelle représentation divine ressortirait d'une telle hypothèse, ni si cette hypothèse se révélerait favorable aux attentes humaines, mais je sais que Dieu a bon dos : ce n'est pas en le supprimant (ni en le magnifiant avec fanatisme) qu'on résoudra les difficultés de connaissance qui se posent à l'homme. Rappelons que ce que l'homme nomme imperfection s'adosse sur des éléments constitutifs de la structure du réel, telle qu'elle nous apparaît du moins, en premier lieu la finitude. On ne voit pas bien comment une forme finie pourrait résoudre définitivement un problème qui n'est pas formel - mais structurel. Finalement, Dieu, dans toutes les acceptions qu'il a pu prendre, exprime ces multiples tentatives - et l'effort n'est pas clos, tant s'en faut. Quels seront les visages que Dieu épousera à l'horizon du troisième millénaire chrétien? La question que je pose ici est différente : ce n'est pas en supprimant un problème existant que l'on résoudra le problème. Cette démarche typiquement nihiliste s'incarne dans ces voix de l'athéisme contemporain qui prétendent qu'en délivrant l'homme de Dieu, le problème et le poison seront résolus. Non seulement le problème (de compréhension) demeure, mais il est amplifié du fait de la disparition, au surplus fort violente (meurtre), du terme de médiation qui permettait d'accéder, sans doute de façon trop imparfaite, à l'inconnu et au mystère. Pour finir : peut-être ce désir de faire passer Dieu pour une imposture, une erreur d'aiguillage, une voie de garage, dont la correction par la suppression accoucherait de la guérison et de la satisfaction, découle-t-il au final du fait que l'idée que Dieu intègre dans son sein, complexe et ténébreux, des domaines qui remettent en question les lumières de la raison et prétendent la transcender. Il n'est besoin que de mentionner l'expérience de la foi, comme croyance ou intuition que la raison est inapte à interroger en profondeur, pour poser le problème et suggérer qu'il ne se résout pas de quelques coups de cuillères à pot. Une certaine rationalité, bien totalitaire, et à mes yeux dévoyée, répudierait Dieu au nom du fait qu'il est étranger à son domaine de compétence, alors qu'il faudrait se demander si l'ensemble du réel appartient au domaine de compétence en question, ou si la raison n'est compétente que pour déchiffrer une certaine partie, limitée, du réel. Le déni de Dieu que j'observe dans cet athéisme superficiel, qui au surplus se présente volontiers comme serein, imposture manifeste quand on contemple les solutions qu'il propose, ne fait que rétablir, en lieu et place de Dieu, la violence comme moyen de dominer la violence - la domination arbitraire comme moyen de venir à bout de l'anarchie et du désordre. La réfutation de Dieu n'aboutit nullement à établir des cultures plus rationnelles, mais à ouvrir la boîte de Pandore des médications charlatanesques ou des potions totalitaires. Le problème du mystère du réel, auquel Dieu apporte des éléments de résolution épars et imparfaits, ce qui était prévisible, se renforce plus qu'il ne s'éclaircit si l'on convoque la violence pour remplacer la médiation du divin. Or, à ma connaissance, et je parle sous l'autorité de Girard, qui pèse quand même plus lourd que le baron d'Holbach, je ne connais pas d'autre alternative à Dieu pour remédier à la violence sourde que la violence institutionnelle. D'ailleurs, pourquoi la folie de Nietzsche comme effondrement final sur ce chemin pour quitter et dépasser le christianisme? Parce qu'il avait quitté le christianisme, mais ne l'avait nullement dépassé (sa solution revenait à rétablir, de force, la régression dionysiaque). D'accord pour dépasser le christianisme, à condition que ce dépassement manifeste, bon an, mal an, un progrès de fond, comme ce fut le cas pour le passage du polythéisme au monothéisme. D'ailleurs, pourquoi cette transition du polythéisme vers le monothéisme? Dans l'évolution nécessaire des formes du divin (des formes de médiation entre l'homme et le réel mystérieux), la solution de l'athéisme prête à sourire. C'est, littéralement, celle du pompier pyromane. Au final, on remplacerait un déséquilibre précaire par plus de déséquilibre encore, au nom de l'équilibre et de l'harmonie.

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