lundi 24 septembre 2007

Les chemins du plaisir 103 bis

Mettons côte à côte la définition kantienne de la morale et celle dont se revendique Ogien au nom de la liberté. La question cruciale est d'envisager si à chaque fois la limitation est envisagée de la même manière.
Ogien : "On a le droit de faire ce qu'on veut de sa propre vie tant qu'on ne nuit pas aux autres."
Kant : "Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen."
L'escroquerie est patente, car Ogien joue sur le fondement de l'individu quand Kant énonce la prudence élémentaire.
1) Ogien possède d'évidence un fondement ontologique : l'individu. L'individu est le fond et la fin du réel. Ce qu'Aristote avait tant peiné à édicter, Ogien le résout par oukase personnelle. C'est sans doute cela le minimalisme, mais l'on me permettra d'appeler cette caricature d'ontologie du simplisme borné. A moins que cette manière de prétendre que le fondement du réel est l'individu et le critère de la vérité l'apparence immédiate ne renvoie à l'ultralibéralisme, qui professe les mêmes évidences et se réclame du même terrain. La libération sexuelle a un arrière-goût de
totalitarisme légitimé (à l'aveuglette).
2) Pourquoi Kant, malgré toutes les critiques qu'on peut lui adresser, est un grand philosophe, quand Ogien est un idéologue positivement objectif, un Cottard de la philosophie, un Rastignac de l'objectivité? Kant se garde bien, au sens du garde-fou(et) et de la véritable profondeur de la cohérence, d'énoncer de manière péremptoire que l'individu est le fondement ontologique du réel. La fin chez Kant ressortit de l'humanité, non de l'individu. Où Ogien établit le critère d'une liberté sans limite pour le propre de l'individu, Kant rappelle que chaque vie compte dans le registre de l'humanité, renvoie à l'avenir de l'humanité, et que l'implication de la liberté individuelle ne saurait se résumer à l'individualité. Elle engage bien plutôt l'humanité dans chaque action individuelle. Kant déjoue le piège du totalitarisme comme fantasme de la liberté et de la libération absolue, dans lequel Ogien tombe allègrement. Pas seulement. Kant prend conscience que le fondement de la liberté et du consentement ne saurait se limiter à l'individu, car l'individu n'existe jamais à l'état de pureté. Son existence implique toujours celle de ses congénères, tant dans le moment présent que dans ceux passés et à venir. Cette évidence, qu'Ogien ne contesterait nullement en matière de politique, est évoquée dans la sphère privée au nom de l'utopie selon laquelle la sphère du privé ne concernerait que l'individu. Ogien serait-il nostalgique d'un état où la liberté serait totale et absolue, et qui expliquerait sa soif de libération sans limite? En tout cas, sa définition de la liberté évoque, je le répète une nouvelle fois, avec trop de précision l'ultralibéralisme pour qu'on ne s'y attache pas. J'y reviendrai. Contre cette séparation confinant au cloisonnement, rappelons que l'individu n'est jamais seul, à son grand avantage (il aurait disparu depuis belle lurette de la liste des espèces vivantes) et pour sa plus grande responsabilité. Le fondement ontologique de la liberté renvoie en définitive au fondement ontologique de la vie, qui n'appartient à aucune individualité, mais énonce le principe de l'entre-deux ou de l'altérité. La liberté de l'individu implique celle de l'espèce dans son ensemble, sa tradition et son avenir. La liberté est altérité dans la mesure où elle est pérennité. La liberté d'Ogien est une duperie en ce qu'elle nie le principe d'altérité et de pérennité et sépare l'individu de sa responsabilité humaine (au sens d'humanité). L'imposture d'Ogien consiste à laisser croire que l'action individuelle n'implique et ne concerne que l'individu consentant. Si l'individu est un fin, c'est pourtant qu'il implique l'humanité dans sa manifestation d'absolu. L'individu selon Ogien est un être morcelé du réel, une créature dont le fond et la fin renvoient à son propre autotélisme dévoyé.
Qu'Ogien lise Dostoïevski et le Comte sera bon.

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