mercredi 26 septembre 2007

Les chemins du plaisir 109

L'importance de la pornographie dans les démocraties actuelles mérite certainement l'analyse, à condition que la violence qu'elle charrie ne soit pas occultée. L'argument des réglementaristes consiste à exercer un profit sur le dos de la violence, en estimant au mieux que la violence peut être dominée par l'homme - au pis, que la destruction n'est pas une si mauvaise chose qu'elle n'y paraît, en tout cas qu'on s'en fout. Quoi que prétendent les esprits de mauvaise foi qui ont intérêt à ce que la violence soit déniée, cette dernière n'est certainement pas un résidu dans l'agencement du monde. Lorsque l'on nie le refoulé, la négation profite au refoulé pour orchestrer son retour en force. C'est exactement ce qui se passe dans le domaine de la pornographie. Plus une époque perd ses repères et manque de valeur, plus sa tentation consiste à retourner vers le sexe pur et à l'interroger pour chercher du sens. Le sexe est sans doute le lieu privilégié de la création et c'est pourquoi, quand le sens ne comprend plus le réel, quand la différence devient un gros mot devant lequel on éloigne les enfants, des fois qu'ils attrapent le mal du pays, la tentation consiste à réduire le sens, la création et la différence à la destruction pure. L'ordre le plus satisfaisant, le plus simpliste aussi, est celui qui se situe le plus près de l'abîme. L'importance de la pornographie ne tient pas à sa qualité esthétique (elle est nulle!), mais au rapport primordial que le sens entretient avec le sexe. Autrement dit, le baromètre de la pornographie indique que quand la pornographie est à la mode, cet effet ne signifie nullement que la sexualité se libère et que le moralisme fanatique régresse; tout au contraire, que les fondements du sens tanguent dangereusement et que le sens n'est plus en mesure de produire du sens à partir du sexe. La régression du sens vers le sexe, sa réduction affligeante au nihilisme et aux valeurs de l'anéantissement suggèrent que le sexe n'est nullement la fin ou l'esprit qu'exprime la pornographie. C'est la crise du sens qui instaure le flux pornographique, et il suffira que le sens prospère de nouveau pour que le reflux pornographique s'opère de nouveau. Sans doute existe-t-il un moralisme étriqué qui professe l'interdit comme attitude face au monde; mais la vraie critique de la pornographie ne procède nullement du refus du réel ou du sexe. Il consiste à rappeler que la violence n'est jamais que l'émanation de la création ou de la différence et que la violence pure, celle qui s'approche du néant, ne prospère qu'à l'ombre de l'absence de sens. C'est dire à quel point la violence n'est pas une fatalité pour l'homme. Dans le cas de la pornographie, elle est une fatalité dans la mesure où l'on accepte le déferlement de la violence brute et qu'on fait mine d'affronter le problème en prétendant que l'on domine d'autant plus la violence qu'on la laisse s'exacerber. Dans le cas de l'art et de la culture, la violence se sculpte, s'éduque, se transforme au point qu'on lui confère des allures humaines et qu'elle recouvre, tel le vilain canard de la fable, ses allures créatrices et solaires. La violence n'est pas une fatalité, à condition que l'homme dispose de fondements assez puissants pour en édifier les minarets chatoyants et les dômes rutilants. C'est quand l'architecture retrouvera son faste que la pornographie perdra comme par enchantement son prestige. Plus personne n'en vantera les mérites pour se donner des airs intéressants et les quelques détraqués (attendrissants) qui s'y risqueront se verront tancer au nom du bon sens. Un jour, proche, le pornographe sera considéré comme l'obscurantiste qui affirme que la Terre est plate. Dire que c'est en terre démocratique que la pornographie a prospéré!

Aucun commentaire: