mercredi 26 septembre 2007

Les chemins du plaisir 110

Je me souviens sur un plateau de télévision, où les invités étaient en majorité des zélotes de la cause pornographique, que le post-soixante-huitard Frédéric Joignot lança, au nom de la libération sexuelle et pornographique, l'anathème d'un bon père de famille contre les gonzos qui inondent le marché de l'Internet à l'heure actuelle. Que libération et pornographie puissent être aux antipodes de conciliants oxymores n'est pas encore entré dans les mentalités. La vraie libération sexuelle attendra qu'on accepte d'envisager la violence qui réside dans le sexe comme l'un des rares bastions que la démocratie ne dispute pas au totalitarisme. Et pour cause : la démocratie, qui fuit plus qu'elle n'affronte pas le problème ontologique de la violence, a intérêt à encourager cet échappatoire à court terme. A long terme, c'est de ce nid de Gorgones que le totalitarisme à tendance libératrice verra le jour... Mais ceci est une autre affaire. Joignot est un journaliste-philosophe. Redoutable espèce, en ce que l'événementiel est intégré au niveau de la métaphysique de la représentation et que l'exercice philosophique consiste à penser le sens à partir de l'événement. Un journaliste-philosophe est un penseur dont le fondement tient à l'almanach événementiel. Il est tout à fait logique que cet apôtre de la surface repue, de l'apparence immédiate et de la réduction ontologique (réduction démentielle de l'événementiel), trouve son comptant (et s'en contente) dans la pornographie. Outre qu'être pour la pornographie vous fait passer dans certains milieux branchés pour un homme de gauche, qui, s'il a le portefeuille à droite, serra sa bite du bon côté, celui de la libération et des bons sentiments (traduction des bons sentiments chez le post-soixante-huitard : l'absence de sentiments), la pornographie épouse intimement, si je puis dire, ou libre-échangistement, les contours de la métaphysique et de la morale de l'événementiel. Or, donc, en effet, notre Joignot de la Couronne X s'insurgea en moraliste effarouché, d'autant plus effarouché et moraliste qu'il pourfendait le moralisme depuis une heure (et une vie), du fait que le gonzo avait dépassé les bornes. Autrement dit : un pornophile (comme il existe des nécrophiles?), qui avait milité toute sa vie pour se libérer des carcans, prenait conscience (la paternité aidant?) édictait des limites avec la vigueur outrée du moraliste stipendié. Le plus patenté des pornophiles est le plus grand des moralistes en ce que lui-même apporte sa limite. Plus la violence est forte, plus la limite est stricte. Le pornographe conséquent est le plus grand des moralistes. Le principe de limitation comporte la trace de la violence. Ordonner, c'est (aussi) violenter. Joignot en apportait la preuve irréfutable. Le plus grand partisan de la pornographie ne faisait jamais que déplacer la limite, en plaidant comme de juste que c'est la liberté qu'il accroît dans le processus de libération, alors que c'est la limite de la violence qui est interrogée et que la libération exprime la libération de la violence. Poser le problème de la limite revient à mal poser le problème : comme le principe formel et théorique de la limite est introuvable, puisque la forme est le principe et que le principe en tant qu'invariant consiste à varier, c'est que la question de la limite n'a de sens, de valeur et de fondement que si elle est adossée à la question de la violence. Au fond, la liberté se pose comme sculpture de la violence, soit comme éducation à la culture. Le problème de la limite qu'interroge Joignot et qu'il rétablit par un "ça suffit" aussi savoureux que tonitruant ne sert pas à grand chose s'il revient à justifier le moralisme tant moqué. Par contre, ce geste donne à penser s'il permet de déplacer les coordonnées du problème et de s'aviser que le critère de départage réside dans la pérennité de la culture, dans la pérennité de la société humaine. La mode de la pornographie ravit peut-être les partisans de la libération démagogique façon pseudo 68; elle est contraire à la pérennité de l'homme, de sa sexualité et de son rang dans le réel.

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