dimanche 16 septembre 2007

Les chemins du plaisir 59

Enthoven : - Vous parlez de partage d'un état émotionnel. Est-ce que en somme vous n'idéalisez pas la pornographie? C'est marrant, vous en parlez comme on pourrait parler de l'amour...
(Long soupir fleur bleue) (...)
Ovidie - Non, je n'idéalise pas ou je n'idéalise plus peut-être, c'est possible aussi, la pornographie dans le sens où j'ai parfaitement conscience (...) de ses défauts, des excès qu'y a eu au sein de la pornographie, etcétéra, etcétéra. Maintenant, c'est comme en effet l'amour, j'essaie de rechercher quelque chose, pas de parfait, mais qui tendrait vers ça, oui, quelque chose où l'émotion serait présente, quelque chose où (...) on sent qu'il se passe quelque chose dans le regard... Oui, c'est cette pornographie-là que je cherche!"


Qu'on se le tienne pour dit, Ovidie est en quête, mais pas de quéquette. Je suis désolé, mon humeur est décidément de mauvais goût.
1) Ovidie affiche une certitude aussi péremptoire que surfaite. Si elle estime avoir parfaitement conscience de sa lucidité quant au sujet de son travail, c'est une affirmation éminemment positiviste. Précisément, l'excès de certitude abrite la conscience de ses faiblesses. Soyons un peu sérieux. Juste une seconde! Une actrice/réalisatrice de porno lucide sur la pornographie, encore faudrait-il pour ce faire être juge et partie!
2) Il n'est jamais facile d'établir le partage entre l'erreur, le mensonge et la mauvaise foi. Ovidie se situe sur cette ligne d'ambiguïté en ce qu'elle ne cesse :
- de prétendre ne plus idéaliser la pornographie, alors qu'elle recourt sans cesse au vocabulaire de la perfection.
- de séparer la bonne de la mauvaise pornographie en expliquant que la mauvaise pornographie, sans doute majoritaire, oblitère le rôle crucial des sentiments. Je convie le lecteur à visionner les films d'Ovidie pour se rendre compte que même les plus éducatifs ne dépeignent jamais les sentiments, ce pour une raison évidente : la démarche de la pornographie est étrangère aux sentiments. Ovidie procède à un dédoublement fantasmatique.
- d'associer la pornographie à l'émotion, au sentiment, alors qu'elle ne cesse de présenter la pornographie comme processus de réification : "quelque chose", "ça". Le lapsus est extraordinaire et le défi impossible : faire d'une émotion une chose revient à faire d'un homme une chose. Bon courage!
3) Revenons sur l'expression : "On sent qu'il se passe quelque chose dans le regard." Le regard figure l'âme. Qu'on se souvienne de ces célèbres vers de Vigny : "Que m'importe le jour? que m'importe le monde?/Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit." Ovidie, qui se réclame explicitement du patronage d'un grand poète, procède à la démarche inverse : alors que l'homme humanise le monde, Ovidie réifie l'homme. Le regard est le siège de l'âme en ce que l'âme est une chose ("regard"/"quelque chose") et l'observateur/spectateur un objet anonyme ("on"). Le thème de la réification parcourt tout le discours d'Ovidie à partir du moment où elle parle des rapports cruciaux entre la pornographie et les sentiments. Autrement dit : si vous voulez démasquer l'incohérence de la démarche pornographique, abordez le domaine de ses rapports avec les sentiments...
4) Ovidie a beau opérer des confusions à chaque mot qu'elle emploie, il est extraordinaire qu'elle associe l'esthétique pornographique à une recherche de la perfection, conjuguée aux sentiments et à la chose : "J'essaie de rechercher quelque chose, pas de parfait, mais qui tendrait vers ça". La chose, dans la même phrase : "Quelque chose"/"ça". Extraordinaire!
- Ce thème de la perfection en pornographie est extrêmement important en ce qu'il se conjugue à la réification et qu'il explique la réduction ontologique et ses critères d'objectivité : pour tendre au plus près de l'objectivité, le plus immédiatement logique revient bien à définir le réel comme objet.
- Chercher la perfection esthétique est l'expression même de l'idéal et du moralisme (l'adéquation Beau/Bien/Vrai), ce qui renforce les contradictions d'Ovidie (et de la pornographie).
- Prétendre à la perfection dans le réel est le symbole de la démesure. Si le réel est imparfait, on peut certes se demander si cette imperfection ne se rapporte pas à la perfection véritable, si cette imperfection n'émane pas du point de vue strict de l'homme, mais pas si la perfection peut se conjuguer au point de vue humain. Le postulat de la pornographie est tellement démesuré qu'il porte en son sein l'expression véritable de la perfection : la violence pure, la destruction pure, comme fantasme de la forme pure, soit, cette fois de l'idéal reconstitué, de la perfection retrouvée.
Elémentaire, mon cher Watson!

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