jeudi 27 septembre 2007

Les chemins du plaisir 113

"Produisez une limite ou nous réclamons la libération, l'absence de limites et d'interdits!". Tel est le cri du coeur qui jaillit des entrailles d'un pornographe. Pas seulement. C'est la trouvaille du nihilisme que de prendre acte de l'incapacité de fonder un quelconque principe viable pour exiger son abrogation définitive. Les pornographes ne savent que trop l'absence de principes qui légitimerait la délimitation et ils profitent de cette fragilité pour en déduire son caractère illusoire. "Si la limite ne repose sur aucun principe, c'est qu'elle est arbitraire!" Pourtant, nos maîtres-libérateurs, qui éructent plus qu'ils ne chantent, sont les premiers à rétablir la limite qu'ils prétendent supprimer, parce qu'ils ne savent que trop que la limite est nécessaire à l'action et au désir humains. Ordonner, c'est limiter. Comment se mouvoir dans le fini sans limites? Je me demande si l'exigence d'abrogation des limites ne repose pas en définitive sur le fantasme d'une alchimie néo-mystique qui permettrait d'atteindre à l'infini par l'illimitation. Un peu comme le mystique se rapproche de Dieu par le jeûne et le dénuement, le pornographe se libérerait des entraves du fini pour atteindre les rivages enivrants de l'infini. Après tout, le langage de Bentley approche de la mystique à tendance gnostique, à ceci près que notre sainte en puissance se réclame des dérives sectaires de la pornographie. Le charlatanisme pornographique consiste précisément à laisser entendre que l'illimitation aboutit à l'infini. Autrement dit : la destruction du fini débouche sur l'accession à l'infini. Qu'est-ce qu'un anus, sinon l'une des portes d'entrée et de sortie du corps perçu comme forme singulière et limitée? Se faire défoncer le cul, pour reprendre une expression particulièrement vulgaire (et violente), quoique réaliste, correspond point par point à cet idéal de délimitation et de définitudisation. Bentley cherche d'autant plus sa limite qu'elle est en quête de délimitation. Le titre de sa confession annonce d'ailleurs la couleur. La reddition, qu'est-ce d'autre que se rendre devant la seule limite qu'on reconnaît tout de même quand on professe de réfuter toutes les limites? Bentley se couche devant la sodomie comme acte de destruction qui la structure, de violence qui la limite. Ce n'est ni chercher le scandale, ni excuser le viol que d'affirmer que le violeur en violant pose sa limite. Quant au fond de l'affaire, il est d'importance : le mensonge et la mauvaise foi de la pornographie en particulier, du nihilisme en général consistent à prétendre que la définitudisation permet d'accéder à l'absolu (qu'il soit orgasmique ou cosmique). En réalité, le processus est un acte de supercherie lamentable en ce que le propre de l'absolu est de s'incarner dans le fini, dans quelque ordre que ce soit. Hors de l'ordre, point de salut! La pornographie obéit à l'ordre de la violence pure, qui, aussi près de l'anéantissement soit-il, n'en demeure pas moins un ordre (à court terme). Autrement dit : la leçon à l'impéritie de la pornographie, c'est que l'on ne sort d'un ordre que pour passer à un autre. Pour le meilleur et pour le pire, on ne sort pas de l'ordre.

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